Un manque de soutien du gouvernement risquerait d’avoir des effets délétères.
Trois policiers du Raid sont toujours en garde à vue après le décès d’un homme de 27 ans, lors des émeutes à Marseille. Dans le même temps, on apprend qu’un policier municipal a été traîné sur plusieurs mètres après un refus d’obtempérer. Alors que pas un jour ne passe sans qu’on entende parler soit de débordements policiers soit au contraire d’action contre ces derniers (ou de décisions de justice particulièrement clémentes contre des agresseurs de force de l’ordre). A quelle point cette réalité est-elle en train de devenir quotidienne ? (A quel point observe-t-on à la fois une multiplication des débordements policiers et en même temps des atteintes à ces derniers)
Matthieu Hocque : Les policiers portent la République depuis les attentats de 2015. En effet, ils sont en première ligne face à l’état de crise permanent que le pays connaît depuis 2015. Sous la présidence de François Hollande, les policiers ont lourdement été sollicités lorsqu’il a fallu défendre les Français face au totalitarisme islamique lors des attentats au siège de Charlie Hebdo et à l’Hyper Cacher, ou encore lors des attentats du Bataclan. Sous celle d’Emmanuel Macron, les policiers ont subi la répétition des crises sociales : Gilets Jaunes, réforme des retraites et désormais les émeutes dans les banlieues. A ce climat de crise permanent s’ajoute une ultra-violence quotidienne présente de la société où des faits divers deviennent des faits de société (rodéos, refus d’obtempérer, etc.).
A ce titre, les refus d’obtempérer constituent une double atteinte à la dignité d’exercice d’un policier. D’un côté, un refus d’obtempérer marque une volonté de ne pas se soumettre à l’autorité légitime de l’uniforme. De l’autre, elle met en danger la vie de femmes et d’hommes dans des situations extrêmes. Cette réalité est devenue quotidienne puisqu’en France, selon les statistiques du ministère de l’Intérieur, il y a près de 27 000 refus d’obtempérer enregistrés en 2022, soit un toutes les 30 minutes. Ce chiffre représente une augmentation de 50% par rapport à il y a une décennie. Parmi ces incidents, près de 20% exigent une réaction impliquant l’usage de l’arme de service. Seulement, les données provenant du ministère de l’Intérieur révèlent que les policiers n’ont recours à leur arme que dans moins de 1% des cas de refus d’obtempérer. Cela ne signifie pas que lors d’un refus d’obtempérer un policier ne peut pas manquer à ses fonctions, mais plutôt que les conditions pour que cela arrive sont limitées.
La sous-utilisation des armes de service par les policiers n’est pas seulement une statistique. Elle reflète une série de blocages systémiques caractéristiques de ce vivent les policiers : conditions matérielles et équipements en retard sur les délinquants, cadre juridique d’intervention systématiquement défavorable et surtout crainte d’être déjugé par la hiérarchie, du commissaire aux responsables politiques.
Concernant l’affaire Hedi, «la détention provisoire, ça nous a mis le démon» raconte un policier de terrain à Marseille au Figaro. Ce sentiment que la justice est biaisée à leur égard et surtout les politiques ne les soutiennent pas ne risque-t-il pas d’encourager des comportements problématiques de la part des forces de l’ordre se sentant livrées à elles-mêmes ?
Matthieu Hocque : Le gouvernement est prisonnier de la dégradation des rapports entre la police et la justice.
D’une part, cela repose sur une procédure pénale inopérante symbolisée par les 95 000 peines non exécutées. Cela conduit à un engrenage néfaste où la non-effectivité des peines et des sanctions appellent à moins respecter les règles pour les délinquants. Les manquements de la justice sont autant d’efforts supplémentaires à fournir pour la police. D’autre part, cela repose sur un sentiment que la justice n’est pas « chimiquement pure ». Autrement dit, elle serait plus dure que de raison avec les policiers et serait moins dure que de raison avec les délinquants. Cette sorte de « prime aux délinquants » et de minoration de leurs agissements nourrit la colère des policiers, ce qui pourrait encourager des comportements individuels hors du cadre légal, sur le modèle d’une tendance au sein de la société qui consiste à se faire justice soi-même.
Seulement, même livrés à eux-mêmes dans un contexte d’hostilité, les policiers doivent incarner plus que quiconque le respect de l’ordre public. C’est pourquoi, il faut lever tous les verrous à une action policière efficace pour lutter contre toutes les composantes de l’insécurité et préserver l’art de vie à la française.
Dans quelle mesure le gouvernement peine-t-il à véritablement répondre à la fois à la population et aux attentes des policiers. A quoi est due cette situation ?
Matthieu Hocque : Les attentes de la population et les attentes des policiers sont alignées. Depuis les Gilets Jaunes, les policiers n’ont jamais autant eu à user de la force légitime que lors des émeutes des banlieues. Pour autant, selon toutes les enquêtes d’opinion, près de trois quarts des Français ont conservé une bonne image de la police. Les Français envoient à leurs forces de l’ordre le message suivant : la police agit dans les règles et les dérapages ne sont que des faits isolés. Même lorsque la situation sociale et sécuritaire est tendue, les Français sont rassurés par leur police et sont globalement en phase avec ses attentes : une meilleure rémunération face à la vie chère, une amélioration des conditions de travail et une nécessité de restaurer l’autorité de l’État.
Face à un alignement des attentes entre les Français et les policiers, le gouvernement peine à convaincre. Cela s’explique par deux facteurs.
Tout d’abord, malgré la concertation nationale du Beauvau de la Sécurité en 2021, Emmanuel Macron n’a jamais donné l’impression d’avoir le bon diagnostic en matière de sécurité. Il demeure encore largement inspiré par le logiciel socialiste qui considère que la violence est consubstantielle à la précarité sociale. Ainsi, afin d’enrayer la violence, il suffirait de diminuer le taux de chômage. Seulement, cette situation revêt une forme de désaveu car le chef de l’État a su diminuer le chômage (7,5%, son plus bas niveau depuis les années 2000), mais que les faits de violence progressent chaque année (+9% d’homicides, +15% de violences physiques, +14% des cambriolages ou encore +11% de violences sexuelles en 2022).
De surcroît, les enjeux sécuritaires invalident la doctrine du « en même temps » propre au chef de l’État. En effet, si le Gouvernement peine à répondre aux attentes sécuritaires, cela provient d’un tandem police/justice inefficace au plus haut sommet de l’État. Il est impossible de résoudre ces problèmes avec un « premier flic de France » aussi volontariste et le « ministre des détenus ». Au quotidien, cette situation est devenue intenable pour les policiers qui se sentent abandonnés par la justice : un policier peut interpeler un délinquant récidiviste à 9h qui sera relâché à 15h, de même, il peut fermer un point de deal à 9h qui rouvrira à 12h.
Comment le gouvernement peut-il imaginer que la spirale de violence et les dérives policières ne s’aggravent pas si les policiers ne sont pas plus soutenus ?
Matthieu Hocque : Le péché originel est dans l’ADN du macronisme. Cela consiste à considérer que le gouvernement est déjà en train d’apporter des réponses. En effet, Emmanuel Macron conduit une politique sécuritaire désincarnée et centrée sur le matériel. Il considère soutenir les policiers lorsqu’il augmente de 1,7 milliard d’euros le budget du ministère de l’Intérieur, ou lorsqu’il augmente de 30% le budget du ministère de la Justice sur son premier quinquennat. De même, il considère soutenir les policiers lorsqu’il insiste sur le recrutement de 10 000 policiers et gendarmes.
Pourtant, si ces efforts sont bienvenus, ils ne constituent pas les uniques réponses attendues par les policiers. La profession est traversée par une crise des vocations qui replace au centre du débat la question du sens d’être policier au XXIème siècle. Sans répondre à cette question fondamentale, le gouvernement risque de se priver de sa police. Sur le terrain symbolique, cela s’illustre par l’augmentation de comportements hostiles au sein de la police, notamment avec la fronde et la multiplication des arrêts maladies. Sur le terrain du réel, cela pourrait conduire à un accroissement d’infractions policières.
Jusqu’où la situation peut-elle pourrir sans prise de position claire de l’Etat ?
Matthieu Hocque : Sans réaction du gouvernement, la situation risque de pourrir jusqu’à la prochaine élection présidentielle. Pourtant, alors qu’Emmanuel Macron avait dragué les électeurs de Jean-Luc Mélenchon au second tour de la présidentielle, les élections législatives marquées par la percée du Rassemblement national et le maintien des Républicains qui se sont ensuite choisis Eric Ciotti comme leader, pouvaient préfigurer un changement de cap de la majorité sur le régalien. Ce tournant aurait pu être symbolisé par la nomination à Matignon de Gérald Darmanin, dont l’action volontariste demeure finalement solitaire au sein de la majorité.
La France pourrait donc échouer à être une nation phare du XXIème siècle capable d’organiser les plus grands événements sportifs de l’humanité. Après l’échec de l’organisation de la finale de Ligue des Champions au Stade de France l’été dernier, l’organisation de la Coupe du Monde de Rugby en septembre 2023, puis des Jeux Olympiques en août 2024 pourraient s’avérer être des fiascos. D’autant plus que les Jeux Olympiques présentent trois difficultés majeures : sécuriser la cérémonie d’ouverture compte tenu de la logistique sur les bords de Seine, sécuriser les infrastructures sportives et les résidences des délégations pour éviter des événements comme à Munich 1972, et enfin sécuriser l’Île-de-France au quotidien alors que la population doublera pendant 1 mois.
Enfin, à moyen terme, le pourrissement de la situation nous fait perdre du temps sur la reconquête des territoires perdus de la République. Alors qu’il y a plus de 50 territoires qui ont fait l’objet d’une initiative de reconquête républicaine, les 1 515 quartiers prioritaires de la ville constituent autant d’enclos plus ou moins difficiles à récupérer pour la police. Or, la police a besoin d’être soutenue pour pouvoir intervenir massivement et offrir aux habitants de ces quartiers un avenir meilleur.
Matthieu Hocque, Directeur adjoint des Etudes du Millénaire
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