À Marseille, les trafiquants de drogue emploient des tueurs à gage pour régler leurs comptes.
12 morts depuis la mi-juillet, 7 depuis août, même dans les quartiers tranquille, la guerre des gangs liée au trafic de drogue fait rage à Marseille. Est- ce inédit ? Comment expliquer ces chiffres ?
Matthieu Hocque : L’année 2023 restera une année noire pour Marseille. Avec 32 décès à ce jour, la cité phocéenne a atteint en huit mois le niveau d’homicides de l’année 2022. Pourtant, l’année 2022 figurait déjà comme la deuxième année la plus meurtrière de l’histoire contemporaine de Marseille. Cette situation s’inscrit dans un regain et une explosion récente des règlements de comptes depuis la fin de la crise sanitaire.
Marseille est gangrénée par l’ultra-violence plus qu’ailleurs, et surtout plus que jamais. En effet, selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, Marseille a connu plus de 110 meurtres sur les trois dernières années. D’un côté, cela représente plus de 4% des homicides en France, alors que la ville de Marseille ne représente que 1,3% de la population nationale. De l’autre, il y a eu plus de morts à cause de la guerre des gangs sur les trois dernières années que sur la période 1950-2000.
Les décideurs publics ont longtemps pensé que la mortalité liée à la guerre des gangs était corrélée aux crises économiques. En effet, depuis le XXème siècle et jusqu’en 2012, on observe trois pics de mortalité à Marseille : un premier autour des années 1930 dans le contexte du krach boursier de 1929 et de la structuration des réseaux mafieux traditionnels, un deuxième en 1978 dans le contexte des chocs pétroliers qui ont mis fin aux Trente Glorieuses et un troisième à partir de 2008 dans le contexte de la crise financière.
Seulement, cette explication est aujourd’hui complètement caduque. Tout d’abord, nous observons que le chômage a diminué durant tout le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, y compris à Marseille qui connait un regain d’activité économique. En revanche, si l’on met de côté l’année 2020 marquée par les confinements, on constate une explosion de victimes de la loi des gangs. Les facteurs explicatifs résident donc ailleurs, notamment sur deux points précis caractéristiques de Marseille : les mutations de la criminalité organisée dans le cadre des réseaux transnationaux et l’émancipation d’une société parallèle dominée par la loi des gangs et des grands frères, qui maintenant qu’elle s’est durablement établie dans les Territoires perdus de la République de Marseille, peut désormais revendiquer de nouveaux territoires : centre-ville, lieux touristiques et villes moyennes voisines.
Comment se fait-il, alors que le problème est identifié depuis longtemps, que personne ne se soucie vraiment de ces meurtres ? Aujourd’hui, que ce soit les politiques, les forces de l’ordre, la population, qui se soucie vraiment de ces meurtres ?
Matthieu Hocque : Marseille fait l’objet d’une attention politique et médiatique particulière depuis de nombreuses années sans succès. Pourtant, il faut sortir de la culture de l’irresponsabilité politique. En effet, en août 2012, alors que Marseille affrontait l’un des étés les plus meurtriers, François Hollande s’est détourné de la demande des élus, notamment de son camp, de faire intervenir l’armée. Cela a entraîné une rupture définitive entre ces territoires parallèles et l’État, ce qui nous plonge dans la situation actuelle puisque désormais les gangs et les grands-frères savent que l’État n’est pas prêt à tout pour les chasser de « leur territoire ».
En revanche, les appels au secours de la part des forces de l’ordre et d’une partie des riverains ont été légions. Ils réclament depuis longtemps davantage de moyens pour lutter contre les mutations de la criminalité organisée à Marseille et des criminels surarmés. En effet, la criminalité organisée à Marseille est un défi transnational par son articulation avec la criminalité organisée du monde entier (trafic de stupéfiant et d’êtres humains, cybercriminalité et fraude). Selon le Conseil européen, les recettes d’origine criminelle représentaient près de 1% du PIB de l’UE en 2019, soit 139 milliards d’euros. L’activité des groupes criminels est souvent transnationale et ceux-ci profitent des progrès technologiques en utilisant des procédés nouveaux qui dépassent aujourd’hui nos institutions.
Quelle réponse faire à cette indifférence globale qui semble frapper les crimes liés à la guerre des gangs ?
Matthieu Hocque : Il y a deux niveaux de réponses : une réponse immédiate et une réponse de long terme.
La réponse immédiate doit provoquer un sursaut pour sortir de l’omerta et de cette indifférence globale. Ainsi, les pouvoirs publics doivent adopter une approche sécuritaire portée par le tandem police-justice pour amorcer la reconquête des 1 515 quartiers prioritaires de la ville (QPV) en commençant par les 59 quartiers à reconquérir par la République. Cela doit permettre d’envoyer le signal aux gangs que l’État est déterminé à reprendre le contrôle de la situation. Cette reconquête doit inverser le rapport bénéfices-coûts pour les délinquants et trafiquants. D’un côté, il s’agit de limiter les bénéfices économiques du modèle économique de la drogue qui permet de rémunérer à hauteur de 3 000€ des jeunes choufs à 13/14 ans. De l’autre, il s’agit d’augmenter les coûts en menant une guerre sans merci contre les points de deals par une présence policière massifiée.
Ensuite, la réponse de long terme sur une trentaine d’années doit s’articuler autour de deux phases. Premièrement, après la reconquête de ces territoires, il faudra détruire les tours et barres d’immeubles. D’un point de vue du terrain, cette organisation spatiale est une aubaine pour mener une guerre des gangs car il est facile de protéger les points de deal, de mettre en place des chekpoints ou encore de piéger la police ou les gangs rivaux lors de descentes. D’un point des politiques publiques, cela doit passer par une suppression de la loi SRU qui impose un quota de 20% de logements sociaux dans toutes les villes de France. Deuxièmement, après la destruction de ces territoires, il faudra reconstruire autour des valeurs cardinales : pacte pour le travail et méritocratie républicaine par la mise en place de pôles d’excellence pour offrir des perspectives aux meilleurs de ces quartiers.
Ne faudrait-il pas aussi responsabiliser les consommateurs et leur montrer les implications de leur consommation ?
Matthieu Hocque : La France est le paradis du cannabis, alors même que l’histoire nous enseigne que la drogue est un facteur de déclin civilisationnel comme le prouve l’exemple chinois de la guerre de l’opium. En France, selon le Baromètre santé de 2016, 17 millions de personnes ont déjà expérimenté sa consommation, tandis que 1,3 million d’individus en font un usage régulier. De même, Marseille est soumise à l’explosion de la consommation de crack en France (+ 52% au cours de la dernière décennie) qui concernerait près de 15 000 personnes, principalement des clandestins caribéens et subsahariens.
Responsabiliser les consommateurs est une solution intéressante. A titre d’exemple, il serait judicieux d’aller bien plus loin que la proposition d’Elisabeth Borne annoncée le 17 juillet sur la suspension automatique du permis de 6 mois à 1 an en cas de drogue, et plutôt être beaucoup plus strict avec une suspension de 5 à 10 ans. En effet, ce haut niveau de consommation de drogue explique le haut niveau de criminalité organisée en France. Le dernier rapport du Global Criminal Index place la France comme un pays avec un haut niveau de criminalité organisée, comme aux États-Unis, en Italie, en Colombie ou au Nigéria, en raison de son bassin de consommateurs et de la facilité des échanges garantie par la proximité entre les lieux de vente et les lieux de vie des consommateurs. Enfin, les réseaux de drogue français sont largement intégrés dans des filières transnationales (Amérique du Sud, Maroc, etc.). Envisager des partenariats avec les pays aidants ou des sanctions avec les pays laxistes doit également être une solution.
Gérald Darmanin a annoncé l’envoi à Marseille de la CRS 8. Cette réponse est-elle à la mesure de l’ampleur du phénomène ? Marque-t-elle à tout le moins une volonté politique ?
Matthieu Hocque : La CRS 8 est une unité d’intervention dont la principale force est sa capacité à se déployer dans un rayon de 300 kilomètres en moins d’un quart d’heure. A ce titre, la mesure marque une volonté politique indéniable et pourrait être une première pierre permettant la reconquête du territoire. Seulement, cette intervention n’a pas vocation à être pérenne, puisque ce n’est pas le rôle de la CRS 8. Or, comme je le disais, reconquérir le territoire se fera sur une trentaine d’années, par une politique sécuritaire dotée de moyens exceptionnels de la police et de la justice comme un parquet spécialisé. De ce fait, l’envoi de la CRS 8 ne sera pas suffisant pour enrayer définitivement le trafic de drogue, mais cette volonté politique va dans le bon sens.
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