Entretien de Matthieu Hocque pour Atlantico « Chef, penseur ou commentateur, Emmanuel Macron tente de se redoser »

Emmanuel Macron a donné une interview fleuve au journal Le Point.

Emmanuel Macron a donné une interview fleuve au Point. Dans cette interview se mêlent des considérations sur l’état des sociétés contemporaines et des considérations de décideurs. Ce mélange des genres fonctionne-t-il ? Est-ce le bon dosage ? 

Matthieu Hocque : Ce mélange des genres a dû mal à fonctionner. On peut dire qu’après six années à la présidence de la République, Emmanuel Macron n’a jamais trouvé la bonne formule pour parler aux Français à travers la presse écrite. Pourtant, il est un habitué des prises de conscience à travers des « entretiens-fleuves ».

Ces entretiens-fleuves doivent répondre aux limites que pose son logiciel politique révolutionnaire de 2017 devenu inadapté à l’époque actuelle. Sur le plan de son projet politique, on se souvient de son entretien accordé à Valeurs Actuelles en 2019 qui devait marquer une prise de conscience sur les enjeux sécuritaires, migratoires et identitaires du pays. Jugé faible par les Français sur ces sujets dans toutes les enquêtes d’opinion, Emmanuel Macron avait tenté d’amender son projet en intégrant des mesures et des réflexions venues de la droite telles que l’exécution de toutes les OQTF, la faillite du modèle d’intégration par le travail, la suspension du droit du sol à Mayotte ou encore la nécessité de réguler l’AME. Sur le plan de son incarnation du pouvoir, son entretien pour L’Express en 2020 devait consacrer son tournant vers un Président gestionnaire des crises et incarnant l’ordre et l’autorité de l’État. Cette mutation présidentielle a constitué la martingale de sa réélection en 2022. Enfin, sur le plan de la méthode, son entretien pour Le Parisien en avril 2023 après la séquence du budget puis des retraites devait marquer une rupture dans la méthode. En effet, Emmanuel Macron s’est progressivement coupé des corps intermédiaires et s’est donc privé de relais pertinents auprès des Français. Cela lui fait défaut dans toutes les enquêtes d’opinion puisque sa cote de popularité ne dépasse jamais les 33%.

Ainsi, cet entretien-fleuve accordé à vos confrères du Point s’inscrit dans cette logique de réponse aux impensés de son logiciel politique. Ici, l’objectif est de poser un nouveau diagnostic sur la société qui a besoin d’être « recivilisée ». Cette considération sur la société est importante car il faut poser le bon diagnostic si l’on veut proposer un cap. En l’occurrence, si ce diagnostic semble être un moment de lucidité dont fait preuve le chef de l’État, la manière dont il formule ses réponses laisse penser qu’il y a une incohérence dans le discours.

Emmanuel Macron peut-il réussir à éviter de n’être qu’un superministre qui annonce tout à la place de ces derniers et prendre de la hauteur de vue ?

Matthieu Hocque : Emmanuel Macron s’est enfermé dans un rôle de « super-premier ministre ». Son entretien présente les mêmes écueils que la feuille de route présentée par Elisabeth Borne il y a un an, ou lors des 100 jours. L’exécutif s’est fixé trop de priorités : désendettement, Jeux-Olympiques, écologie, réindustrialisation, refonte des services publics, immigration, recivilisation, etc. Cet éventail de sujets présente deux problèmes. D’une part, un périmètre large de sujets risque d’accentuer les désaccords avec les oppositions à l’Assemblée nationale. Pour résumer, il est impossible pour l’exécutif de faire voter une « politique de gauche » sur des « sujets de gauche » comme la Justice ou l’Éducation, puis une « politique de droite » sur des « sujets de droite » comme l’Intérieur ou les Finances publiques. Chaque camp reprochera à l’exécutif de manquer de cohérence. D’autre part, cet éventail de sujets crée des incohérences sur les réponses à apporter aux crises. A titre d’exemple, les propos de Gabriel Attal « on ne peut pas se permettre de financer la transition écologique avec une telle dette » condamne l’exécutif à trancher entre deux objectifs contradictoires et donc entre deux politiques publiques et deux ministres.

D’autant plus que l’exécutif est en retard sur sa feuille de route. En accumulant les échecs politiques sur le vote du budget 2023 ou la réforme des retraites, l’exécutif est en retard sur plusieurs sujets comme la loi immigration, la sécurité dans les Territoires perdus, le nucléaire, ou encore l’écologie avec le Conseil national de la transition écologique. Ainsi, pour redonner une impulsion à un quinquennat paralysé, Emmanuel Macron est contraint au double-emploi : Chef de l’État et chef de l’exécutif depuis l’apparition du quinquennat avec ce qu’on appelle en sciences politiques le fait majoritaire (disposer d’une majorité absolue).

Emmanuel Macron semble assumer certaines prises de position telles que « l’école est du domaine réservé du Président » ou « réduire significativement l’immigration » ou des annonces institutionnelles. Est-ce assez pour redonner de l’élan à un second mandat qui en manquait cruellement ?

Matthieu Hocque : Emmanuel Macron est dans une impasse politique. Pour sortir de cette impasse, il doit prioriser et hiérarchiser les défis. Cela passe par mettre fin au « en même temps » qui ne permet pas de prendre des décisions fortes et radicales. Il n’y a que si vous hiérarchisez les crises, vous avez la capacité de définir des priorités et de savoir où vous allez concentrer vos ressources humaines, budgétaires et politiques. A ce titre, il choisit non pas de prioriser les crises auxquelles il répondra, mais plutôt de prioriser certaines prises de position.

Seulement, une prise de position n’est pas une grande orientation. Ces prises de position consistent en effet à des annonces de principe pour donner une impulsion politique à certains ministres. On peut donc se demander si cet entretien vise plutôt à transmettre un capital politique à certains ministres « favoris » du président de la République, notamment Gabriel Attal à l’Éducation, Gérald Darmanin à l’Intérieur et Thomas Cazenave aux Comptes publics. Cette situation souffre de deux paradoxes. D’un côté, Emmanuel Macron ne dispose pas pour ce second mandat d’un capital politique suffisant. Sa réélection ne s’est pas jouée sur son projet politique, mis en minorité à l’Assemblée nationale, mais sur son rôle d’incarnation du parti de l’ordre et de l’autorité. Est-ce que ces prises de position seront suffisamment attractives pour conduire à une union autour du chef de l’État ? Rien n’est moins sûr. De l’autre côté, Emmanuel Macron incarne désormais bien trop le « super premier ministre » qui court-circuite ses ministres. Est-ce qu’il sera en mesure de se mettre en retrait pour acter son changement de méthode annoncé lors de son discours d’entre-deux-tours ? La tonalité de cet entretien au Point donne déjà une indication.

Semble-t-il en mesure de trancher les « en même temps » qui paralysent parfois son quinquennat ? 

Matthieu Hocque : Emmanuel Macron doit se réformer lui-même. Pour cela, il doit passer du constat à l’action. Les entretiens accordés à la presse sont légion et répondent chacun à un besoin d’étoffer sa « révolution » de 2017, soit en intégrant des réflexions venues d’ailleurs, soit en actant un changement d’incarnation ou de méthode.

Toutefois, je pense que le chef de l’État est coincé dans la séquence actuelle qui appelle deux options contradictoires vis-à-vis du « en même temps ». Au niveau des politiques publiques, tout pousse pour abandonner le « en même temps ». En effet, la France doit affronter deux défis prioritaires selon moi. Le premier concerne la préparation des Jeux-Olympiques, pour laquelle le « en même temps » est inopérant pour sécuriser la cérémonie d’ouverture sur les bords de Seine, les lieux de résidence et les infrastructures sportives, et les lieux de vie en Île de France par une reconquête des Territoires perdus de la République. Le second défi concerne la sécurisation de l’hiver 2023 des Français, en résolvant de manière structurelle la crise énergétique au niveau des carburants et électrique. Seulement, au niveau politique, le président de la République avait deux options : soit tenter d’élargir la majorité présidentielle et donc mettre fin au « en même temps » et au dépassement, soit resserrer ses troupes en vue des élections européennes et les conserver. Tout pousse à croire que le chef de l’État a choisi en faveur du maintien du « en même temps ». En effet, son remaniement est une équipe de combat purement acquise à l’ADN macroniste. Or, les élections européennes font partie des élections qui se jouent le plus sur le projet politique et qui constitueront un test de mi-mandat pour le président de la République. Par conséquent, ce choix de jouer les européennes avec une équipe resserrée idéologiquement entre en contradiction avec l’objectif d’élargir la majorité présidentielle.

En conclusion, le remaniement et les rentrées de la majorité donnent une indication sur le choix politique d’Emmanuel Macron pour l’année 2024 : le « en même temps » risque encore de paralyser la suite du quinquennat jusqu’à une éventuelle rupture après les Jeux Olympiques et un éventuel changement de Premier ministre.

Matthieu Hocque, Directeur adjoint des Etudes du Millénaire

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Crédit photo : IAEA Imagebank, sous license Attribution 2.0 Generic (CC BY 2.0).

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