La Roumanie, pays qui ne fait pas d’habitude parler de lui, est devenue en quelques mois le cœur battant d’un affrontement qui dépasse largement ses frontières. Le choc politique déclenché par l’annulation du premier tour de l’élection présidentielle de 2024 a mis en lumière ce que beaucoup refusaient encore de voir : la démocratie européenne est entrée dans l’ère des ingérences étrangères et l’affrontement entre anti et pro système est une réalité…
Ce qui s’est joué à Bucarest n’est pas une simple crise institutionnelle. C’est le scénario du pire pour toute démocratie libérale : un candidat ultranationaliste et prorusse propulsé par une campagne numérique fulgurante et douteuse ; des soupçons massifs d’ingérence étrangère ; une annulation d’élection rarissime décidée par les plus hautes autorités constitutionnelles ; et, enfin, une rue qui gronde, persuadée que l’élection lui a été volée. Le schéma est connu : il fut expérimenté ailleurs, mais il prend ici une dimension inédite, car il touche un État membre de l’Union européenne, au carrefour des tensions géopolitiques.
La Russie, fidèle à sa doctrine de la guerre hybride, n’a pas hésité à tester ses méthodes sur le terrain roumain. La déstabilisation n’est plus une hypothèse théorique, elle est devenue une pratique assumée. L’objectif est clair : fissurer l’ancrage européen de Bucarest, installer l’idée que les règles du jeu sont truquées et semer, partout où cela est possible, le doute sur la légitimité des institutions démocratiques.
Mais cette crise roumaine révèle également une faille plus profonde, propre à l’Europe elle-même. À force de sous-estimer la montée des discours antisystème et de traiter la désinformation comme une menace diffuse et lointaine, l’Union européenne s’est laissée surprendre. La Roumanie n’est pas une anomalie : elle est un signal faible devenu assourdissant.Car une conviction s’impose : la Roumanie, aujourd’hui, annonce peut-être la France, ou un autre pays européen de demain. Ignorer les leçons de cette élection avortée serait, pour l’Europe, ouvrir la porte à de nouveaux scénarios de chaos démocratique. La défense des règles du jeu ne se décrète pas. Elle se pense, s’anticipe et se construit. C’est tout l’enjeu de cette note.
Par Clément Galley, Analyste du Millénaire
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Crédit photo : [Bucarest] Vue depuis le Parlement, Nicolas Vollmer, via Flickr, sous licence CC BY 2.0.
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