La tech dope le marché de l’emploi
Le marché de l’emploi dans le numérique est déficitaire en France depuis plus d’une décennie. Le Covid-19 a exacerbé la nécessité de transformation digitale au sein des entreprises oet de l’administration amplifiant la demande d’emploi numérique. Or, nous ne formons pas suffisamment de personnes dans ces métiers (manque d’offre). À horizon 2030, le marché du numérique devrait représenter plus de 1 600 000 emplois, nécessitant la formation de quelque 800 000 nouvelles personnes entre 2023 et 2030. En 2022, seulement 70 000 nouvelles personnes ont rejoint les métiers du numérique, lorsqu’il en faudrait au moins 115 000 par an. Ce décalage entre l’offre et la demande crée donc une pénurie d’offre qui se traduit par près de 10 % des emplois du secteur non pourvus, est particulièrement aiguë dans des domaines tels que la cybersécurité, où seulement 25 % des offres d’emploi ont été pourvues en 2021.
Le marché de l’emploi du numérique est certes dynamique mais il est le reflet de nombreuses fractures qui fragmentent la société française. L’Ile-de-France concentre à elle seule 40% des emplois numériques en France, au détriment des autres régions qui ne jouissent pas de la même effervescence et limite donc le rayonnement du numérique (économique, emploi, développement) sur l’ensemble du territoire. Près de 17 % de la population française âgée de 12 ans et plus est en situation d’illectronisme, soit environ 11 millions de personnes. Et seulement un quart (24 %) des emplois dans le numérique sont occupés par des femmes. Ainsi, nous prenons le risque d’une « Start-up nation » complétement désaxée des attentes du pays ce qui ne peut rien donner de positif d’un point de vue politique et sociétal.
Un retard de maturité technologique
L’Europe, et la France en particulier, souffrent d’un retard structurel dans le développement de leur économie numérique par rapport aux États-Unis. En effet, l’activité dans le secteur des services numériques est 2,5 fois plus élevée outre-Atlantique que dans l’Union européenne et le Royaume-Uni réunis. Cela se traduit par une absence de champions européens dans les technologies numériques les plus stratégiques. Sur les 100 entreprises technologiques les plus valorisées en 2023, seules 10 sont européennes. Nos voisins dominent les secteurs clés, de l’e-commerce aux nouvelles plateformes de services, tandis que nos propres fleurons peinant à émerger. Le problème ne se résume pas seulement à l’absence de géants du numérique européens. En réalité, l’Europe peine même à produire des entreprises de taille intermédiaire dans ce secteur. Aucune société européenne ne se positionne parmi les deuxièmes ou troisièmes acteurs les plus importants de domaines clés comme l’e-commerce, les services de mobilité ou les plateformes SaaS.
Ce retard de maturité technologique accroît nos dépendances et limite notre souveraineté économique. L’intégration plus lente et moins profonde des technologies numériques dans les entreprises françaises et européennes fragilise leur position concurrentielle. Elles risquent de perdre des parts de marché, de voir leurs marges s’éroder, et même d’être évincées par de nouveaux entrants plus innovants. La faible maîtrise des technologies clés du numérique nous place dans une situation de dépendance vis-à-vis d’autres pays, limitant notre capacité à faire des choix alignés avec nos valeurs et nos intérêts collectifs. Les raisons de ce déclassement sont multiples : manque de sensibilisation aux enjeux, aversion collective au risque, lourdeurs bureaucratiques entravant l’innovation, etc. Mais il n’est pas trop tard pour agir.
Renforcer l’attractivité des métiers numériques
La France souffre d’un déficit de talents humains dans le secteur numérique. Ce problème qui s’explique en grande partie par une inadéquation entre les formations proposées et les besoins réels du marché. En effet, notre offre de cerveaux numériques se retrouve prise en étau : d’un côté, nous faisons face à une offre haut de gamme provenant de pays comme la Chine, les États-Unis et d’autres nations européennes, reconnues pour leur excellence en matière de technologie et d’innovation. De l’autre côté, une offre plus bas de gamme émerge des pays d’Europe de l’Est, de l’Inde ou du Maghreb, créant ainsi un déséquilibre qui nuit à notre compétitivité.
Alors que nos voisins, notamment les États-Unis et la Chine, ont fait de la maîtrise des technologies numériques une priorité stratégique, la France doit également mettre en œuvre une stratégie d’attractivité des talents. Pour cela, il est essentiel de développer des programmes visant à sensibiliser les jeunes aux opportunités offertes par les métiers du numérique dès le plus jeune âge. De plus, offrir des incitations financières encouragera l’inclusion de candidats aux profils divers et parcours atypiques. La création de bourses d’études et de programmes de financement spécifiquement destinés aux femmes est également cruciale. Il est impératif d’introduire le numérique dans les établissements d’enseignement supérieur « par défaut ». Cette stratégie reposera sur des piliers tels que l’investissement en recherche et développement (R&D), la formation des compétences, la création d’un environnement propice à l’innovation, et l’internationalisation de cette démarche, positionnant ainsi la France comme un hub d’innovation reconnu mondialement.
La « Start-up nation » ne doit pas être un îlot isolé du reste du pays, mais faire l’objet d’un renforcement massif des moyens humains pour être au service de la nation dans le cadre d’un projet plus global de redressement économique.
Clément Perrin, Directeur des Etudes du Millénaire
Bastien Enjalbert, analyste du Millénaire
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Crédit photo : Salon Vivatech 2022 , Institut polytechnique de Paris IP Paris, sous license Attribution-ShareAlike (CC BY-SA 2.0).
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