Otage du régime algérien pour ses opinions, Boualem Sansal a été libéré et gracié le 12 novembre dernier consécutivement à l’intervention du président de la République fédérale d’Allemagne, Frank-Walter Steinmeier. Au-delà du narratif donné sur la relative entente entre les deux pays, si l’Allemagne a réussi à obtenir quelque chose de l’Algérie, c’est grâce à des avantages stratégiques, notamment commerciaux, que la France a abandonnés.
La France a de moins en moins de cartes sur l’Algérie
Pour contraindre un pays comme l’Algérie qui ne respecte pas ses engagements à changer de position, il faut des moyens de pression. Si des instruments migratoires existent, la France n’a plus de cartes commerciales et diplomatiques face à l’Algérie. En effet, la relation commerciale bilatérale Algérie-France a été supplantée par une relation Algérie-UE. Notons ainsi que le commerce de marchandises entre l’Algérie et les pays de l’UE a augmenté depuis les 20 dernières années pour atteindre 46,4 milliards d’euros en 2024 selon la Commission Européenne. Ce n’est pas tant que l’Algérie soit un pays puissant, mais plutôt que notre pays s’est affaibli.
Ce qui est le plus intéressant ici est que les Allemands tirent leur épingle du jeu. En effet, l’Office des Affaires Étrangères allemand (Auswärtiges Amt) confirme la balance commerciale excédentaire, au profit de l’Allemagne, des échanges commerciaux entre les deux pays. Une différence substantielle avec le cas français, précisé plus haut. Enfin, l’Algérie diversifie ses exportations avec certains pays, l’Italie étant placée en tête des destinataires du gaz algérien. La France n’a donc plus réellement d’avantages dans sa relation commerciale avec l’Algérie.
L’Allemagne tire son épingle du jeu
Ce n’est pas la diplomatie des « bons sentiments » allemande qui a libéré Boualem Sansal, mais les cartes dont dispose l’Allemagne sur l’Algérie. En effet, si l’Allemagne raidit sa position diplomatique contre l’Algérie, à la demande de la France par exemple, le régime algérien perd plus qu’elle ne gagnerait à demeurer « anti-français ». Au regard de sa place dans le commerce européen, l’Allemagne a plus de leviers que la France pour menacer l’Algérie d’une suspension de l’accord d’association avec l’UE. A cet égard, la médiation allemande dans la libération de Boualem Sansal est surtout le symptôme d’un déclassement diplomatique français tant au niveau mondial qu’européen. Une forme de « claque diplomatique » pour nous alors que le président Macron, suite à l’annonce de la libération, a parlé de « coopération » entre l’Allemagne et la France depuis plusieurs mois sur cette question.
Ceci nous laisse perplexe, vu le rôle actif qu’a joué l’Allemagne dans ce dossier. Mais en analysant de plus près les événements récents, par exemple, la position du chancelier Fridriech Merz (qui rompt avec la position de l’ancien chancelier Olaf Scholz), les attaques du vice-président américain J.D. Vance contre les Européens lors d’une conférence à Munich en février, laissent planer l’éventualité d’un renforcement des rapports franco-allemands. Il n’en demeure pas moins que c’est l’Allemagne qui « active » à son profit le rapport de force avec l’Algérie, tandis que le président Macron se limite à un comportement passif et souvent limité aux questions purement mémorielles.
Une relation à réécrire avec l’Algérie en partant de zéro
Si l’Algérie n’est pas notre ennemi, la position régulièrement « vassalisante » de notre président Macron ne facilite pas la cordialité de nos rapports. En effet, les décisions que la France prend ont, au mieux, une portée symbolique. Prenons l’exemple du 30 octobre dernier, lorsque notre Parlement a adopté une résolution appelant les « autorités en ayant la compétence à dénoncer les accords franco-algériens du 27 décembre 1968 ». Or, d’un point de vue normatif, c’est au président qu’il incombe de négocier ou ratifier les traités (article 52 de la Constitution). Dont acte… il n’en est cure. Le président Macron ne semble pas enclin à battre le fer avec l’Algérie alors que la relation doit reprendre depuis zéro quitte à divorcer du pays.
Le prochain point d’achoppement avec l’Algérie concerne la délivrance de laissez-passer consulaires pour expulser concrètement les Algériens qui présentent un danger pour notre pays ou qui sont hors des règles. Ainsi, si la France souhaite recouvrer le respect de l’Algérie à son égard, il est utile de procéder à une approche transactionnelle vis-à-vis de l’Algérie, plutôt qu’une approche purement « sentimentale ». A dire le vrai, la diplomatie française n’a souhaité qu’améliorer les rapports franco-algériens de tous temps, preuve en est l’accord de 1968 susvisé et son maintien actuel, ce qui n’a jamais fonctionné.
Or, la France dispose encore de moyens de retourner à son avantage le rapport de force avec l’Algérie. Dans un premier temps, elle possède le contrôle des mouvements financiers (prestations sociales, transferts d’argent etc.) qu’elle peut suspendre sans l’accord de l’Algérie. Puis, si l’Algérie ne change pas de position, alors la France peut progressivement couper tous les avantages migratoires et sociaux dont disposent les Algériens en France et en Europe : limitation des visas diplomatiques, sécurité sociale ouverte aux Algériens, suspension des vols Alger-Paris. Enfin, il est nécessaire de dénoncer l’accord du 27 décembre 1968 pour finaliser le divorce si l’Algérie ne change pas de position en un mois. Les Français dans toutes les enquêtes d’opinion et l’Assemblée nationale désormais, y sont majoritairement favorables.
Antranig Kevorkian, Analyste au think-tank gaulliste et indépendant Le Millénaire, auteur du rapport « Jouer le rapport de force contre l’Algérie »
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Crédit photo : Emmanuel Macron, French politician, President of France since 14 May 2017, Faces Of The World, via Wikimedia Commons, sous licence CC BY 2.0.
Abdelmadjid Tebboune (2023), de State Duma of the Russian Federation, via Wikimedia Commons, sous licence CC BY 4.0.

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