La gestion de nos hôpitaux après la crise sanitaire tient d’un paradoxe. Habituellement, une crise conduit à repenser positivement le fonctionnement d’un secteur. Par exemple, les activités bancaires sont mieux gérées depuis la crise de 2008. Or, 5 ans après la crise sanitaire, l’hôpital n’est pas dans un meilleur état qu’avant, car la bureaucratie a triomphé sur les soignants.
La crise sanitaire a accéléré la bureaucratie au lieu de l’alléger
L’hôpital a été débordé dès les premières semaines de la crise sanitaire. Cela tient pour deux raisons. D’une part, un décalage entre l’offre de santé et la demande de santé préexistait à la crise puisque pendant 40 ans nous avons artificiellement comprimé l’offre (sur le plan de la démographie médicale avec le numerus clausus et sur le plan budgétaire avec l’ONDAM) alors que la demande de santé ne faisait que croitre eu égard au vieillissement de la population ou encore la prévalence des maladies chroniques. Or, dans cette situation, tout choc de demande, comme une pandémie (celle du Covid a amené 100 000 hospitalisations entre le 1ᵉʳ mars et le 15 juin 2020), conduit à une crise globale. D’autre part, l’hôpital français ne disposait pas de plans de gestion de crise sanitaire, les plans Blanc n’étant que des plans de gestion de surcharge hospitalière temporaire lors de catastrophes naturelles ou d’attentats terroristes.
L’hôpital débordé n’a eu que la bureaucratie comme interlocuteurs. Pendant la crise, les trentaines d’agences de santé ainsi que les 17 ARS ont été mobilisées. Si leur travail a été parfois salutaire invitant à repenser notre système de santé, elles ont trop souvent été source d’injonctions contradictoires ou de guerre de périmètres. Qui ne se souvient pas des attestations de sortie aux motifs kafkaïens, des consignes de port du masque contredisant celles de la veille, ou des débats sans fin sur la jauge exacte d’un rassemblement ? Ces absurdités ont révélé une bureaucratie qui cherche à ce que le terrain corresponde à son imaginaire plutôt que l’inverse.
Seulement, alors que la crise sanitaire aurait dû conduire à un changement de paradigme, la bureaucratie a triomphé. Les extensions de périmètre, parfois justifiées lors de la crise, ont été maintenues au détriment des soignants. Pourtant, plus l’urgence est grande, plus l’action doit être souple, décentralisée et au plus près des réalités. Or, nous avons fait tout l’inverse en confiant la gestion de la crise aux bureaucrates. In fine, cela a conduit à accentuer les faiblesses de notre système de santé malade de sa bureaucratie. Elles s’incarnent à trois égards : la suractivité réglementaire (depuis l’an 2000, le Code de la santé publique a été révisé 84 fois par une loi ou une ordonnance, soit près d’une fois par trimestre !), la bureaucratie interne dans les établissements de santé (33% des emplois sont administratifs, soit 365 000 emplois !), et la suradministration des superstructures gouvernant le monde de la santé.
Pour un choc de débureaucratisation
Il ne suffit pas de décréter la débureaucratisation pour qu’elle s’opère efficacement. Il est indispensable d’identifier les verrous précis pour y apporter des réponses que nous regroupons autour d’un triple choc.
Un premier choc de décompression des superstructures. Les superstructures se divisent en deux catégories : celles relevant de l’organisation territoriale de la politique de santé, et celles de l’encadrement des activités hospitalières (agences et autorités indépendantes). Les ARS doivent être supprimée ne remplissant plus l’objectif initial (assurer l’accès à la santé pour tous, promotion de la santé et la réduction des inégalités) alors qu’elles sont dotées d’un budget de fonctionnement de plus de 1 milliard d’euros et de 10 000 fonctionnaires qui s’attellent à règlementer la vie des établissements. Créer un service déconcentré unique (anciennement les DRASS) permettrait de regrouper la politique de santé, le contrôle des organismes de la Sécurité sociale et les politiques de cohésion sociale, sous l’autorité du préfet de Région et de réinternaliser les autres missions auprès du ministère. De plus, la régionalisation des CPAM actuellement à l’échelle départementale, favoriserait la coordination entre le financement et le pilotage tout en permettant une réduction de l’effectif administratif redondant au niveau des Caisses. Enfin, il faut engager la suppression ou la fusion des agences en doublons avec un objectif d’une réduction de 50% du nombre d’agences d’ici 2030.
Un deuxième choc de décentralisation de la prise de décision. Si 33% de l’emploi à l’hôpital est administratif, la France doit se rapprocher de l’hôpital allemand situé autour de 15% à 20% selon les hôpitaux afin de redonner des marges de manœuvre pour recruter des soignants. Cela passe par la création d’un indicateur de performance administrative rendu public auprès des citoyens qui doivent savoir où leur argent est dépensé. Cela emporte deux conséquences : accélérer la dynamique de regroupement réel des hôpitaux (GHT) pour réaliser des économies d’échelles, mais également une décentralisation de la prise de décision au niveau des pôles de services autour d’un binôme « médecin-directeur médical stratège » appuyé d’un directeur administratif adjoint, pour rendre le pouvoir aux soignants, ce qui a pour conséquence de changer le statut unique de directeur d’hôpital délivré par l’EHESP en l’ouvrant à des profils variés. En d’autres termes : des hôpitaux plus grands coordonnés au niveau régional par un service unique, mais une prise de décision plus proche des services médicaux.
Enfin, un choc de simplification des procédures. La programmation des contrôles administratifs dans les établissements de santé et médico-sociaux est trop rigide et souvent inefficace. Il est essentiel de la simplifier pour en assurer son efficacité. De même, les pouvoirs publics doivent continuer d’investir dans le numérique en santé pour accélérer l’implémentation de solutions interopérables entre logiciels, établissements de santé et professionnels libéraux et numériser les documents hospitaliers afin de libérer du temps médical. Enfin, les politiques d’achat des hôpitaux doivent aussi être rationnalisées car elles les contraignent à recruter de l’administratif tous azimuts, à commencer par les centrales d’achat (UGAP, RESAH et UniHA), mais aussi le recours à la sous-traitance à outrance pour les fonctions supports qui doit être mieux contrôlée.
L’hôpital public est pris en étau par la bureaucratie qui le prive d’efficacité tout en bridant les libertés pour les soignants. Il est illusoire de demander aux soignants toujours plus de résilience sans que cette exigence ne soit également adressée aux structures elles-mêmes.
Pauline Vincent, Analyste au Pôle Santé du Think-Tank Le Millénaire, co-auteur du rapport « 5 ans après le Covid, débureaucratiser l’hôpital ».
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Crédit photo : Paperasse, de ClearFrost, via Flickr, sous licence CC BY-SA 2.0
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