Matthieu Hocque pour Valeurs Actuelles : « La France doit s’inspirer de Ronald Reagan pour gagner la guerre contre le narcotrafic »

La France est le champion d’Europe de la consommation et du trafic de drogue. Contrairement à ce qu’affirme la doxa, la France n’est pas l’un des pays les plus répressifs. En 2024, près de 13% des prisonniers en France sont détenus pour infraction aux stupéfiants (détention ou trafic) contre 15% en Allemagne, érigée pourtant en modèle par ceux qui rêvent d’alléger la législation. 

La France n’a en fait jamais réellement déclaré la guerre à la drogue. C’est pourquoi décrypter la « War on Drugs » de Ronald Reagan permet d’identifier, sans brader l’État de droit, des réponses efficaces et complémentaires à la proposition de loi « Sauver la France du péril du narcotrafic » dont l’angle mort est la réponse pénale. 

Les 3 piliers de la « War on Drugs » 

La révolution conservatrice des années 1980 entend rétablir l’ordre moral et l’ordre dans la rue en luttant contre le narcotrafic. D’un côté, l’ordre moral est menacé par la victoire idéologique des mouvements étudiants et hippies d’extrême gauche dans les années 1960 qui s’est accompagnée d’une explosion de la consommation de drogue dans le cadre festif, notamment d’héroïne, de cocaïne et de synthèse. De l’autre, l’ordre dans la rue s’est vu menacé par la diversification des consommations de drogue avec l’arrivée du crack à la fin des années 1970. Il s’agit d’un dérivé bas de gamme et ultra-violent de la cocaïne consommée par des populations plus précaires, notamment afro-américaines aux Etats-Unis et immigrées au Royaume-Uni. 

Si les plans de Thatcher et Reagan comportent des spécificités nationales, les conservateurs déclarent une « War on Drugs » sans merci. Celui de Ronald Reagan repose sur trois piliers. 

Premièrement, une guerre internationale est menée car la drogue est majoritairement importée de pays du Sud comme la Colombie, le Pérou ou le Mexique. Ronald Reagan développe les programmes d’assistance financière, mais surtout militaire pour bombarder les lieux de production et démanteler les réseaux conduisant par exemple à la chute de Pablo Escobar en 1993. En 50 ans, les Etats-Unis ont dépensé 10 milliards de dollars en Colombie ou au Mexique. 

Deuxième pilier, la « War on Drugs » accroit la protection par la répression. L’Anti-Drug Abuse Act de 1986, complété du Money Laundering Control Act et du Juvenile Drug Trafficking Act, crée de nouvelles unités et alloue de nouveaux budgets aux agences de lutte contre la drogue (+1,7 Mds US$/an répartis sur la police aux frontières, la police judiciaire, la police de terrain, les magistrats ou les douanes). Surtout, il réhausse drastiquement la réponse pénale en favorisant l’incarcération de masse, rendue possible par des peines planchers minimales allant de 5 ans de prison jusqu’à la perpétuité pour la détention de certaines quantités de drogue (1 kg d’héroïne, 5 kg de cocaïne, 50 g de crack, 1 000 kg de marijuana, etc.). 

Enfin dernier pilier, Reagan investit sur la prévention en la recentrant sur la dissuasion par la crainte et le dégoût de la drogue. En 1984, son épouse Nancy Reagan lance la campagne « Just Say No » sur fonds privés aboutissant à la constitution de 5 000 clubs dans les écoles en particulier dans les lieux proches des bassins de consommation de crack. 

Quels enseignements tirer de la « War on Drugs » pour gagner la guerre contre le narcotrafic ?

La « War on Drugs » souffre d’un procès injuste sur sa supposée inefficacité. Par paraisse intellectuelle, les décideurs publics français et européens se sont souvent arrêtés au coût de la surpopulation carcérale. En 50 ans, près de 37 millions d’Américains ont été incarcérés pour un coût de 660 Mds US$, selon le Laguna Treatment Center, constituant 85% des dépenses de la « War on Drugs ». Cette approche est à nuancer car elle a permis une réduction de la narco-criminalité. D’une part, le taux d’homicides volontaires pour 100 000 habitants diminue de 20% entre 1980 et 1990, passant de plus de 10 pour 100 000 habitants à près de 8[1]. D’autre part, selon la Drug Enforcement Administration (DEA), les quantités de cocaïne saisies par les forces de l’ordre américaines ont été multipliées par 4 (70 tonnes de cocaïne en 1989, contre 16 tonnes en 1981) créant une pénurie rendant le produit cher (+30% pour le gramme de cocaïne), ce qui en réduit de fait la consommation. 

S’inspirer de la « War on Drugs » ne signifie pas copier le modèle Reagan tous azimuts, mais identifier les leviers pertinents pour le modèle français. La proposition de loi issue des conclusions de la Commission d’enquête du Sénat reprend déjà des dispositions de la « War on Drugs » sur ce qui a trait à la lutte contre les réseaux ou encore le blanchiment d’argent. Seulement, cela sera vain si elle n’est pas complétée d’un durcissement de la politique pénale. 

Trop peu de narcotrafiquants sont mis hors d’état de nuire. Cela rend inefficace notre réponse police-justice puisque les forces de sécurité sont submergées sur le terrain (240 000 personnes vivraient du narcotrafic en France selon l’OFDT, contre 250 000 forces de police et de gendarmerie). La France doit donc réintroduire des peines planchers de 3 ans minimum de prison en fonction des quantités saisies, mais également les compléter par des alourdissements minimums de peines en cas de récidive, d’utilisation de mineurs (doublement automatique de la peine) ou de trafic à proximité d’établissements scolaires (possibilité de tripler la peine). 

La « War on Drugs » offre un modèle de réponse ferme contre la drogue sans pour autant brader l’État de droit comme les réponses autoritaires du Salvador ou des Philippines. Elle nécessite la réorganisation du système carcéral mais surtout un courage politique que doivent prendre les décideurs publics car les Français ne peuvent plus tolérer l’ultraviolence, l’ensauvagement et la barbarisation de la société liée au narcotrafic. 

Matthieu Hocque, Directeur adjoint des Etudes du Millénaire, co-auteur du rapport « Faire la guerre aux narcotrafics : l’exemple de la War on Drugs »


[1] Courrier international. « Aux États-Unis, la chute du nombre de meurtres fait mentir les idées reçues ». Courrier international, 2 janvier 2024.

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Crédit photo : Ronald Reagan at Durenberger Rally by Michael Evans, 1982 (NARA/Reagan Library), de pingnews.com, via Flickr, sous licence Public Domain.

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