A 26 jours de la fin d’année, la France n’a ni Gouvernement, ni budget et a dû faire face à la plus grande grève de la fonction publique de l’année. Seulement, cette grève n’est pas uniquement le fruit des « professionnels de la grève » (syndicats de la SNCF ou de l’Éducation nationale) car les blouses blanches se sont jointes aux cortèges, chose plutôt rare. Loin de l’allocution d’Emmanuel Macron fustigeant les oppositions irresponsables, les soignants ont manifesté car ils veulent retrouver de la liberté médicale. Une liberté qui leur a été ôtée par le socialisme et qui ne leur a jamais été rendue par Emmanuel Macron.
L’État a étouffé les soignants
Les soignants ont été privés de liberté par le carcan administratif et la bureaucratie à la française. A partir du moment où nous avons perçu la santé comme une charge, nous avons cherché à évaluer et rationnaliser la dépense de santé … en créant une armée d’administrations étouffantes. Seulement, la multiplication des agences et des commissions du ministère de la Santé a alourdi le système avec une redondance de missions. Par exemple, l’Anap (Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux), la HAS (Haute autorité de santé) et l’Anesm (Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux) sont en charge de faire des recommandations sans distinction entre leurs compétences. Pire, les ARS (Agences régionales de santé) instaurées par la loi Hôpital, patients, santé et territoires du 21 juillet 2009 (« Loi HPST ») représentent environ 10 000 fonctionnaires pour un coût de 1 milliard d’euros par an.
Si le système de santé est malade de la sur-administration, les hôpitaux ont aussi vu se développer la bureaucratie. L’OCDE relève que 35,22 % des emplois hospitaliers en France ne sont ni médicaux ni paramédicaux, contre 24,3 % en Allemagne. Cela signifie qu’à l’hôpital, plus de 1 salarié sur 3 ne voit jamais un patient. A quoi sert une telle armée administrative ? Cela a rendu notre hôpital malade. Désormais, 30% des dépenses de santé, qui représentent 9% du PIB français, est alloué aux dépenses administratives et de fonctionnement de l’hôpital. Nous aboutissons à un système de santé qui n’est pas « géré comme une entreprise » comme on l’entend souvent, mais géré par des comptables et des bureaucrates qui déshumanisent la gestion des ressources humaines à l’hôpital.
Une colère légitime
Les soignants se mobilisent contre les annonces sur la fonction publique, mais pas seulement. Certes, les annonces du ministre démissionnaire Guillaume Kasbarian concernant l’absentéisme avec l’alignement avec le secteur privé pour les jours de carences et l’indemnisation des arrêts maladies ont été mal vécues. En effet, la profession fournit déjà beaucoup d’efforts. Le plafond des 48 heures de travail hebdomadaire n’est pas toujours respecté nécessitant d’ailleurs une décision du Conseil d’État en juin 2022, alors que dans d’autres professions de la fonction publique les 35 heures ne sont même pas respectées. Mais, il existe des revendications supplémentaires à la santé comme la réouverture de lits d’hospitalisation (environ 80 000 lits supprimés en 20 ans), un meilleur accès aux services d’urgence, ou encore l’augmentation de l’ONDAM et des budgets des établissements.
La mobilisation des soignants devrait être durable. D’une part, la situation de mal-être est plus prononcée chez les soignants que dans le reste de la fonction publique. Cette crise des métiers du soin s’illustre par le chiffre de 50 000 postes vacants en raison d’une perte d’attractivité de ses métiers pour des raisons matérielles (rémunération, conditions de travail), mais également immatérielles (perte de sens, maltraitance institutionnalisée, etc.). D’autre part, l’absence du vote du PLFSS 2025 plonge le secteur de la santé dans l’incertitude car il ne pourra être adopté que par une loi spéciale ou par ordonnances. Ainsi, la représentation nationale n’aura pas pu trancher de vision pour l’hôpital. Or, une mobilisation sociale dure lorsque ses revendications n’ont pas pu être portées politiquement dans un cadre démocratique tel que le Parlement. Nous avons donc la certitude que le prochain PLFSS sera mauvais pour les soignants ce qui accentuera d’autant plus leur colère.
Plus de liberté pour les soignants à l’hôpital
Mais les difficultés pour faire adopter un budget peuvent nous permettre de changer de logique : celle d’annoncer à chaque fois des milliards en espérant que cela puisse calmer la colère des soignants. En effet, l’an passé, Gabriel Attal a annoncé lors de son premier déplacement au CHU de Dijon 32 milliards d’euros supplémentaires pour soutenir la crise des urgences … des crédits qui figuraient dans le PLFSS 2024. Ainsi, le prochain gouvernement sera dans l’obligation de ne plus se reposer sur cette logique pour privilégier des réformes structurelles et de profondeur. Le système de santé a besoin de passer d’une logique de gestion comptable à une logique de gestion médicale.
Cela se traduit par plus de liberté à accorder aux soignants. Un médecin n’a pas fait une dizaine d’années d’études pour se retrouver derrière un écran à remplir des fiches de soin ou des cerfa ! L’hôpital gagnerait à renforcer les prérogatives des chefs de service plutôt que des administratifs. Il serait souhaitable que les médecins fassent de la médecine et les administratifs de la gestion administrative, mais comme conseillers et appuis des médecins et non plus comme ordonnateurs. De même, il faut aussi parallèlement décharger les soignants de tâches administratives chronophages pour qu’ils occupent leur temps auprès des patients.
En sortant de la seule logique budgétaire, de nombreuses mesures de bon sens peuvent soutenir les soignants grâce à davantage de liberté et de considération pour mettre en œuvre une médecine du XXIème siècle, respectueuse de la santé du patient et de celle du soignant.
Matthieu Hocque, Directeur adjoint des Etudes du Millénaire, co-auteur du rapport « Hôpitaux en grève : un hôpital malade »
Pauline Vincent, Analyste du Millénaire, co-auteur du rapport « Hôpitaux en grève : un hôpital malade »
Denis Nicolaï, Analyste du Millénaire, co-auteur du rapport « Hôpitaux en grève : un hôpital malade »
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Crédit Photo : TRATAMIENTO ANTIENVEJECIMIENTO, par ABEL F. ROS, via Qapta.es, sous licence CC BY-NC-SA 4.0.
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