Matthieu Hocque et Nicolas Citti pour Valeurs Actuelles : « Législatives : Emmanuel Macron vers une démission contrainte ? »

TRIBUNE. L’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale après les élections européennes a plongé la vie politique française dans l’inconnu. Matthieu Hocque, secrétaire général délégué à la coordination et aux études, et Nicolas Citti, analyste politique, au sein du think tank Le Millénaire, étudient les scénarios possibles.

L’annonce de dissolution après les élections européennes, a plongé la vie politique française dans l’inconnu. Le retour des Français aux urnes pourrait déboucher sur une recomposition politique à l’Assemblée nationale. Ainsi, la majorité présidentielle pourrait réduire sa position déjà précaire, tandis que les deux extrêmes coalisés pourraient sortir renforcés du scrutin. Une telle situation ajoutée à une possible France ingouvernable rend possible les conditions d’une démission du chef de l’État.

Un camp présidentiel en fin de vie

La majorité est dans une impasse électorale. Après la déroute aux européennes, la liste de la majorité présidentielle subit un rétrécissement de son socle électoral à tous les niveaux. Selon le dernier sondage IFOP pour Le Figaro, le camp présidentiel est dominé dans toutes les catégories socio-professionnelles par le Rassemblement national. Il enregistre un écart de 11 points chez les catégories supérieures (20% contre 31% pour le RN), de 20 points chez les professions intermédiaires (13% contre 33%) et de 34 points chez les catégories populaires (12% contre 46%).  De plus, il est dominé dans tous les territoires puisque 90% des communes ont placé la liste du RN en tête des européennes. Le camp présidentiel s’est même effondré dans des régions pourtant favorables comme en Ile-de-France ou dans le Grand-Ouest, pris en étau entre un bloc de droite nationale et un bloc de gauche radicale.

S’il ne dispose d’un vote d’adhésion, le président de la République ne bénéficie pas non plus d’un vote utile. D’une part, la campagne des européennes a montré que son impopularité nuisait à son propre camp. Près de 7 Français sur 10 considèrent qu’Emmanuel Macron est plus un inconvénient pour son propre parti qu’un avantage selon le dernier sondage Elabe pour La Tribune Dimanche. Ainsi, il mobilise davantage contre lui, que pour lui. Dans ces circonstances, la majorité présidentielle pourrait s’effondrer en fin juin dès le premier tour au profit de seconds tours entre le Rassemblement national et le nouveau Front populaire, qui pourrait amener à une bipartition de l’Hémicycle entre les deux forces politiques, avec au centre droit la coalition Ensemble et une poignée de députés Républicains. 

Une mauvaise lecture des institutions de la Vème République

Emmanuel Macron ne respecte pas l’esprit de la Constitution de la Vème République. Celle-ci permet notamment : un parlementarisme rationnalisé pour permettre au Gouvernement d’agir, un dialogue entre l’exécutif avec les Français et/ou ses représentants et de placer le président de la République dans le rôle d’arbitre au-dessus de la mêlée. Or, Emmanuel Macron a décidé de contourner le dialogue avec le Parlement ou les corps constitués pour être en lien direct avec les Français. Par ailleurs, le président de la République ne s’illustre pas pour son respect de l’article 20. En effet, ses Premiers Ministres successifs, puisqu’ils ont été guidés dans toutes leurs actions par le Président de la République et que ce dernier leur a substitué de nombreux arbitrages. En conséquence, en cas de succès, il doit être le premier à être récompensé notamment en étant le premier président réélu hors période cohabitation depuis le général de Gaulle. Dans le même temps, en cas d’échec, il doit en subir les conséquences politiques. Seulement, Emmanuel Macron semble vouloir accepter seulement les succès tout en se défaussant en cas d’échec.

Le choix d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale ne s’inscrit pas dans une lecture gaulliste de la Constitution. La dissolution est un outil institutionnel qui doit répondre à deux objectifs : soit lever une situation de blocage institutionnel à l’Assemblée nationale pour veiller au fonctionnement des pouvoirs réguliers (1), soit trancher une situation en faveur du peuple si ce dernier s’est exprimé contre la majorité parlementaire (2). Or, concernant le deuxième aspect, bien que la situation parlementaire était difficile, que les majorité de projet était soumise à de nombreuses discussions, elle n’était pas immobilisée. D’ailleurs, la majorité présidentielle n’a eu de cesse de rappeler qu’au cours de l’année 2023, 52 lois avaient été votées contre 33 en 2018. Sur le second aspect, cette dissolution ne ressemble pas à celles du Général de Gaulle en 1968 avec le blocage dans les rues ou de 1962 avec le blocage du Parlement. Les dissolutions permettaient alors de trancher un conflit entre le Président avec le Parlement ou les blocages. Or, le message des élections européennes n’est pas un vote anti-Parlement, mais anti-Macron. La traduction politique devrait être un retrait d’Emmanuel Macron voire une démission.

Une démission inéluctable ?

Seules deux majorités sont possibles : une majorité de droite nationale ou de gauche radicale. En effet, l’effondrement électoral du bloc central et l’impossibilité à l’élargir aux partis de Gouvernement, LR ayant acté sa ligne d’indépendance et le PS son alliance avec la gauche radicale, rendent une majorité centriste difficile à envisager. En effet, les premiers sondages donnent la majorité présidentielle en deçà de 120 députés. Ainsi, Emmanuel Macron ne dispose que de mauvaises options : démissionner si aucune majorité (même relative) n’est trouvée pour déverrouiller le blocage, soit nommer un Premier Ministre issu de l’un de ces rangs selon les résultats, qui pourrait le contraindre à démissionner en cas de cohabitation dure.

Sur le premier scénario, le président de la République se retrouverait dans une impasse avec plusieurs issues. La première possibilité serait de nommer un Gouvernement technique chargé d’expédier les affaires courantes avant une prochaine dissolution, c’est-à-dire que la France n’aurait pas de Gouvernement avant juin 2025. La seconde possibilité pourrait être de former un Gouvernement d’Union nationale, ce qui n’est pas forcément le plus aisé lorsqu’il faut convaincre des partis de Gouvernement de s’allier au Front populaire ou au Rassemblement national. La troisième possibilité serait sinon de sortir de l’impasse institutionnelle avec une démission du président de la République. Cela entrainerait l’élection d’un nouveau président de la République accompagné d’élections législatives profitant de l’élan de l’élection présidentielle pour former une majorité.

Sur le second scénario, une cohabitation pourrait conduire à une démission d’Emmanuel Macron. Il y a deux types de cohabitation : les cohabitations “courtoises” comme celles de Balladur entre 1993-1995 et les cohabitations “conflictuelles” comme celle de Chirac entre 1986-1988 ou la fin de celle de Jospin. La cohabitation dure se justifie souvent par la volonté du président de se représenter à l’élection suivante comme Mitterrand en 1986-1988 ou Chirac en 2000-2002 afin de marquer le territoire face à son Premier Ministre. Or, Emmanuel Macron ne pouvant pas se représenter, il doit laisser le Premier ministre gouverner et se mettre en retrait sur le modèle du monarque au Royaume-Uni. Cette hypothèse n’étant pas la plus probable, même s’il ne faut plus rien exclure, pourrait conduire à un nouveau litige entre les représentants des Français au Parlement avec le président, donc une éventuelle démission de ce dernier.

En cas de démission, Emmanuel Macron serait perçu comme le pire chef de l’État, qui aurait failli sur tout. Il laisserait un pays dans le chaos sur l’ensemble des indicateurs (économiques, sécuritaires, migratoires ou encore éducatifs), mais également des Français désunis et usés de vivre en état de crise permanente.

Matthieu Hocque, directeur adjoint des Etudes du Millénaire

Nicolas Citti, Analyste politique du Millénaire

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Crédit photo : Emmanuel Macron (2019-10-09), Пресс-служба Президента Российской Федерации, sous license Creative Commons Attribution 4.0 International, via Wikimedia Commons

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