1) La FNSEA et les Jeunes Agriculteurs se sont mobilisés ce lundi pour bloquer les axes majeurs menant à Paris. Le gouvernement a mobilisé 15.000 membres des forces de l’ordre pour encadrer le mouvement. La crise des agriculteurs est-elle en train de se transformer en un mouvement des Gilets Verts ? En quoi la crise des agriculteurs est un mouvement social qui tend à se rapprocher des Gilets jaunes ?
Au départ, la crise des agriculteurs pouvait s’apparenter à une mobilisation sectorielle “traditionnelle” des quinquennats du Président Macron. Traditionnelle, car jamais un président de la République n’a connu autant de mouvements sociaux sectoriels qu’Emmanuel Macron : cheminots, étudiants, enseignants, médecins, infirmiers, diplomates, raffineurs, etc. Cela tient en une explication. En effet, la pensée originelle du président de la République consiste à dépasser les codes de l’ancien-monde au premier rang desquels figurent les corps intermédiaires. Cela s’illustre par son attrait pour les Grands débats nationaux et les Grandes concertations (Ségur de la Santé, Beauveau de la Sécurité). Seulement, si ces grands moments visent à inclure la société civile dans la conception des politiques publiques, cela aboutit à diluer le poids politique des partenaires sociaux. Ainsi, Emmanuel Macron s’est coupé des représentants du corps social ce qui a conduit à des mouvements sociaux moins encadrés et plus spontanés organisés par des collectifs à partir de réseaux locaux ou de réseaux sociaux, que cela soit sur le plan de la défense d’une corporation (collectif médecins) ou d’une critique globale du système (Gilets Jaunes).
Dans ce contexte, la crise des agriculteurs adopte une partie des codes des collectifs. Les syndicats agricoles ne figurent pas en marge de ces nouveaux codes, mais au contraire ils se les sont appropriés contribuant ainsi à faire émerger une génération de Gilets Verts. Cela s’illustre par deux phénomènes nouveaux et bien différents du dernier mouvement social agricole en 2015 : l’organisation de collectifs par le biais des réseaux locaux et la création de communautés autour d’agro-influenceurs sur les réseaux sociaux. De ce fait, le monde agricole, syndicats, exploitants, agro-influenceurs, arrivent dans leur diversité à porter des revendications communes des agriculteurs. A ce titre, les Gilets Jaunes offrent un laboratoire pertinent pour réussir une mobilisation dans le temps : l’organisation des actions de blocage sans entraver la France du travail (1), la conquête des réseaux sociaux (2) et la montée de figures alternatives aux syndicats pour diversifier la parole et expliquer les raisons de la colère (3). La grande différence avec le mouvement des Gilets Jaunes sur ce point réside dans le fait que les syndicats ne sont pas exclus de la mobilisation, mais au contraire sont à la manoeuvre pour transformer une colère sectorielle en phénomène de Gilets Verts. Seulement, les syndicats agricoles doivent garder en mémoire que les Gilets Jaunes ont vu l’adhésion à leur cause diminer en raison de mauvaises méthodes d’action comme les saccages de l’Arc de Tiomphe ou des commerces.
La crise des agriculteurs tend à se rapprocher des Gilets Jaunes pour trois raisons de fond.
Premièrement, les Gilets Jaunes et Gilets Verts partagent la lutte contre les symboles des élites mondialisées. Normalement, les agriculteurs ciblent le ministère de l’Agriculture et les Chambres d’agriculture dans les provinces. Or, ce n’est pas le cas depuis janvier pour les Gilets Verts qui ciblent surtout l’Union européenne, le Gouvernement et la grande distribution. Les deux mouvements ont ainsi le même objectif : porter une attention sur des Frances “oubliées” par les élites mondialisées : la France rurale pour les agriculteurs et la France périphérique pour les Gilets Jaunes.
Deuxièmement, les Gilets Verts comme les Gilets Jaunes se sentent éloignés des lieux de pouvoir. Cela s’explique notamment par le fait que leur revenu est déterminé loin de leur ferme : à Chicago pour les matières premières avec les marchés internationaux, à Bruxelles pour les subventions de la PAC et à Paris pour les négociations de prix entre la grande distribution et le Gouvernement. D’autant plus que pour les deux derniers lieux, les agriculteurs pointent du doigt les décisions absurdes des élites allant à l’encontre du bon sens, en l’occurrence paysan. En effet, les élites politiques nationales et européennes redoublent d’imagination pour créer de nouvelles normes, notamment environnementales, telles le relèvement des taxes sur les gazole non routier ou la réglementation des pesticides, alors que les agriculteurs croulent déjà sous les contraintes.
Troisièmement, les Gilets Verts révèlent les fractures territoriales au sein d’une France désunie. Ces fractures se superposent avec celles observées lors des Gilets Jaunes. On retrouve d’abord une fracture entre Paris et les Provinces. La convergence des agriculteurs vers Paris les journées de lundi 30 janvier et mardi 31 janvier donne du sens à l’expression “monter à Paris”. Ensuite, on observe que les mobilisations ont d’abord principalement touché la France du Grand Sud avant la France du Grand Ouest, notamment les régions Occitanie et Nouvelle-Aquitaine. En effet, ce sont davantage les éleveurs que les céréaliers qui ont lancé le mouvement. C’est pourquoi Agen a été le premier symbole de la mobilisation et non des départements agricoles en Bretagne ou en Pays de la Loire.
2) Le Premier ministre Gabriel Attal a présenté une série de mesures pour tenter d’apporter des solutions au monde agricole. Sans réussir à convaincre véritablement. Quelles sont les conséquences politiques de cette crise ? Le fossé se creuse-t-il encore un peu plus entre l’exécutif et les agriculteurs qui ne demandent qu’à travailler malgré le poids des normes ? La crise démontre-t-elle aussi les limites de l’écologie politique et ses ravages sur le quotidien des agriculteurs ?
Nous assistons à un paradoxe très important entre le Gouvernement de Gabriel Attal et la mobilisation des Gilets Verts. Gabriel Attal a pour mission politique de former un Gouvernement de combat qui doit viser l’électorat de droite en vue des élections européennes. En effet, selon toutes les enquêtes d’opinion, sa cote de popularité et de confiance dans l’électorat de droite est supérieure à 50%, son niveau national. Or, les agriculteurs font partie de cette France de droite qui ne vote pas pour la droite nationale incarnée par le Rassemblement national et Reconquête. Donc, le discours de Gabriel Attal et des membres du Gouvernement comme Gérald Darmanin s’est voulu “pro-agriculteurs”.
Seulement, qu’il le veuille ou non, l’exécutif est associé aux problèmes que vivent les agriculteurs. En effet, d’un côté, le Gouvernement est associé à l’Union européenne sur les décisions absurdes contenues dans le Green Plan (loi sur la restauration des sols qui diminuera la surface agricole des exploitants et réduction de 50% des pesticides d’ici 2030 alors que certains ne sont pas substituables) et de l’autre côté, au libre-échange avec son logiciel libéral alors que les agriculteurs remettent en cause les traités avec le MERCOSUR, le Canada ou encore la Nouvelle-Zélande.
Ainsi, la première conséquence politique de cette crise est la rupture entre le monde agricole et le Gouvernement, pourtant votant plutôt pour Emmanuel Macron et la droite républicaine. Cette crise traduit une forme de désaveu du Gouvernement. En effet, le Gouvernement Attal multiplie les promesses au monde agricole sans donner de certitudes quant à leur réalisation. Cette situation affaiblit la parole gouvernementale. Les agriculteurs pourraient donc subir le même sort que le personnel soignant, à savoir des promesses balayées par d’autres promesses faites à d’autres classes de la société dès que la crise se termine.
Seconde conséquence politique, l’écologie politique, incarnée par la lutte contre les pesticides, les mégabassines ou la production, désespère les agriculteurs. En effet, elle apparaît essentiellement urbaine et déconnectée : construire des jardins partagés n’est pas gage de connaissances agricoles et écologiques. Les écologistes sont perçus comme des arnaqueurs pour les agriculteurs sur deux points. D’une part, en obligeant les agriculteurs à la conversion agro-écologique, les écologistes les incitent à la décroissance. En effet, l’agriculture biologique nécessite plus de sols pour produire autant de production alimentaire, que ce soit dans la filière végétale ou animale. Or, les revenus des agriculteurs sont liés à leur production. Donc, les écologistes veulent que le revenu des agriculteurs diminue alors qu’il est déjà excessivement faible : 1 390€ net imposable en moyenne, et 870€ pour une retraite avec une complémentaire. D’autre part, les agriculteurs estiment que les écologistes les contraignent à payer plus que les autres (les riches et les urbains) les coûts de la transition écologique à la fois en transformant leur activité, mais également en transformant leur mode de vie rural (renchérissement du carburant et donc de la voiture pour les déplacements quotidiens).
3) Quelles seraient les réponses à apporter aux agriculteurs ou dans le cadre de cette crise et que vous détaillez dans votre note « Crise des agriculteurs : vers des Gilets verts ? » pour le compte du think tank Le Millénaire ?
On ne peut pas répondre aux problèmes sans changer le mode de pensée qui les ont générés. Ainsi, nous détaillons les trois modes de pensée qui structurent la crise agricole pour y apporter les réponses adéquates.
Tout d’abord, les élites ont tourné le dos à la production. En France, cela se traduit par le legs encombrant d’une idéologie néfaste, un dogme introduit par les socialistes arrivés en 1981 : le socialisme. Seulement, même après avoir perdu les élections, les autres responsables politiques ne sont jamais revenus sur l’état d’esprit socialiste. Cet état d’esprit nous conduit collectivement à moins produire que ce soit, par la promotion des baisses de temps de travail ou par la promotion d’un Etat bureaucratique et obèse. Or, sur le plan agricole, cela se traduit par une explosion de normes et une crise de la production liée à la perte de notre compétitivité économique par rapport aux pays européens et aux pays tiers asiatiques ou américains. C’est pourquoi, nous proposons un plan en trois étapes : relancer notre production agricole (1) grâce à une politique fiscale moins prohibitive et un droit des entreprises agricoles (création du statut juridique, regroupement, transmission) simplifié ; être souverain sur le plan alimentaire (2) en créant un observatoire de la souveraineté alimentaire visant à intégrer tous les acteurs pour mieux répartir la valeur ajoutée et en mettant en oeuvre un plan de 1 milliard d’euros pour soutenir les filières fragilisées (protéines végétales, fruits, pêche) qui n’arrivent plus à exporter ; et exporter davantage grâce à une exception agricole française (3) pour impérativement veiller à assurer un jeu concurrentiel à armes égales au sein de l’Union européenne et avec les pays tiers, notamment sur deux points : l’harmonisation des règles applicables au sein du marché commun et la systématisation des clauses miroirs économiques, environnementales, sanitaires et sociétales avec les pays tiers afin d’assurer une réciprocité des conditions de production.
De plus, les élites mondialisées ne sont pas occupées du revenu des classes populaires françaises perdantes de la mondialisation. Depuis les années 1970, les élites françaises post-gaullistes poursuivent une stratégie de métropolisation du pays visant à intégrer les grandes villes à la mondialisation. Cela a d’abord commencé sous Valéry Giscard d’Estaing avec l’apparition de la notion de technopoles et l’application des thèses de François Perroux et a été gravé dans le marbre par les socialistes avec les lois Defferre de décentralisation en 1982. Or, la France rurale a été en quelque sorte trahie par les métropoles qui se sont tournées vers le monde alors que pourtant elle les alimente. Ainsi, les élites post-gaullistes ne sont pas occupées de la question des revenus des agriculteurs et cela malgré les réformes de la PAC, notamment celle de Mac Sharry en 1992. Nous proposons donc une rupture avec cet état d’esprit en agissant sur trois points clés : l’augmentation du revenu des agriculteurs en réduisant les strates de paiement de 11 à 4 pour limiter le nombre critères pour toucher une subvention (1) ; réduire les délais de paiement des aides à travers un système d’information européen performant (2) ; et ajouter des critères de pénibilité pour le calcul de la retraite d’un agriculteur pour éviter qu’elle ne soit en dessous du SMIC (3).
Enfin, il faut mettre fin à l’idée véhiculée de fait par les écologistes que ce seront les classes populaires qui paieront le coût de la transition écologique. Pourquoi, à l’échelle mondiale, les écologistes sont favorables à ce que ce soient les pays riches qui payent pour les pays pauvres à travers le CNUCED et à l’échelle nationale veulent faire payer à la France périphérique et rurale pauvre ? Les coûts d’abattement – le coût de changement induit par une modification d’un comportement au regard de son apport – sont beaucoup plus élevés pour la France rurale que pour la France urbaine. En effet, il est beaucoup plus facile de changer les modes de transport en ville qu’à la campagne par exemple. Ainsi, nous proposons de répondre à l’impératif de transformation écologique en privilégiant les circuits courts et l’économie circulaire pour éviter l’importation alimentaire de produits carbonés grâce à l’introduction de critères de localité dans la loi E-Galim pour rapprocher le consommateur du producteur (1) et plaider pour un moratoire sur toutes les normes environnementales européennes non assujetties à des clauses miroir (2).
4) La crise des agriculteurs sera-t-elle un des facteurs de la recomposition politique des partis de droite, notamment en vue des européennes ?
Les partis de droite (Rassemblement national, Reconquête, Les Républicains) se sont lancés dans une surenchère pour incarner la défense du mouvement des Gilets Jaunes. Le soutien des agriculteurs permet de s’ancrer dans la France rurale, du travail et des terroirs, celle imaginée par le regretté Jean-Pierre Pernault. D’autant plus qu’il bénéficie d’un socle de soutien à la mobilisation très fort, 87% selon le sondage Elabe pour BFM TV, davantage que les Gilets Jaunes (65%) et les syndicats mobilisés contre la réforme des retraites (59%) au début des mouvements.
En effet, chaque parti de droite doit gagner des voix par rapport aux sondages actuels. Le Rassemblement national de Jordan Bardella doit viser un bloc électoral supérieur à 30% aux européennes afin de pouvoir avoir un bloc solide dès le premier tour de la présidentielle pour éviter d’être dépendant des réserves de voix des autres partis de droite. En effet, la stratégie de Marine Le Pen d’annoncer le “ticket gagnant” avec Jordan Bardella contraint le RN a devoir l’emporter seul en 2027. Le poste de Premier ministre ne sera pas proposé à une personnalité d’un autre parti pour élargir l’assise électorale du RN. S’agissant de Reconquête et des Républicains, ces derniers jouent leur survie dans cette élection en étant proches de la barre des 5% qui les empêcherait d’avoir des élus européens. Pourtant, le bilan des différents partis de droite n’est pas éloquent : Les Républicains ont participé au façonnement de la PAC actuelle avec le groupe du Parti Populaire Européen incarné par Ursula von der Leyen, les élus du Rassemblement National au Parlement européen, Jordan Bardella en tête, sont peu actifs depuis 5 ans, tandis que Reconquête reste loin du pouvoir et semble surfer surtout sur une vague médiatique. En cas de débordement dans les prochains jours, il pourrait y avoir une contradiction au sein des partis de droite. Cette contradiction est entre le soutien aux agriculteurs et la volonté d’incarner le parti de l’ordre. L’enjeu dans les prochains jours pour les partis de droite sera : est-ce qu’ils préféreront soutenir les agriculteurs pour cibler les électorats de la France des oubliées (France rurale et France périphérique) ? Est-ce qu’en cas de troubles à l’ordre public ils soutiendront les forces de l’ordre pour incarner le parti de l’ordre ? Cette question s’était posée en ces termes à Laurent Wauquiez lors des Gilets Jaunes et aboutit à une position difficile de compréhension sans acceptation des violences.
5) Les agriculteurs ont obtenu 400 millions d’euros et des engagements qui pourraient être une vraie rupture, est-ce que cette crise-là changera plus le monde que celle des Gilets jaunes ?
La crise des agriculteurs ne changera pas forcément plus le monde que celle des Gilets jaunes. Si les Gilets jaunes n’avaient pas obtenu de résultats politiques particuliers, les Grands débats nationaux n’ayant rien donné, les Gilets verts, eux, ont réussi à obtenir quelques avancées. Seulement, ces gains ne constituent qu’une paille. Rapporté aux 700 000 agriculteurs français, les aides complémentaires annoncées par le Gouvernement ne reviennent qu’à environ 575€ par agriculteur, soit moins de 50% du revenu moyen. Ce qui constitue une rupture réside dans la victoire symbolique des Gilets Verts qui me laisse penser que la crise des agriculteurs prolonge l’héritage politique des Gilets jaunes dans la durée au point d’en faire la référence des mouvements sociaux du XXIème siècle.
Nous assistons à une troisième ère des mouvements sociaux depuis les Gilets Jaunes.
La première ère des mouvements sociaux post-Seconde guerre mondiale se caractérise par des mobilisations issues de la pensée politique socialo-communiste. La lutte des classes et les rapports de force économiques et sociaux structuraient les mobilisations qui étaient encadrées par les syndicats et les partis politiques tels que le puissant tandem CGT-PCF. Ainsi, la lutte primait sur l’enjeu de la mobilisation.
Mai-68 opère un tournant dans les mouvements sociaux ouvrant une deuxième ère. Ainsi, de « nouveaux mouvements sociaux » décrits par Alain Touraine rompent sur le fond et la forme. Sur le fond, la mobilisation se fait sur enjeux sociétaux (antiracisme, écologisme, féminisme, LGBT, etc.). Sur la forme, ces mouvements n’hésitent pas à élargir le répertoire d’actions en allant casser volontairement des symboles publics, considérant que leur cause est supérieure à celle de l’État.
Les Gilets jaunes sont une rupture avec ces anciens « nouveaux mouvements sociaux ». Leur mobilisation, davantage spontanée, se rapproche de l’esprit 1789 par la diversité des profils sociologiques (classes populaires, classes moyennes et classes bourgeoises) qui ploient sous la pression fiscale et la hausse des dépenses contraintes, ainsi que par la transversalité de leurs opinions politiques (de l’extrême gauche à l’extrême droite, y compris au centre). Leur héritage a permis de forger un nouveau concept politique : la « France périphérique » de Christophe Guilluy.
Donc, la crise des agriculteurs n’a pas vocation à avoir cette portée-là. Seulement, il est très probable, au regard de la bienveillance des Français sur ce mouvement, que l’avenir des mouvements sociaux se situe du côté des Gilets jaunes et des Gilets verts.
6) Cette crise des agriculteurs aura-t-elle une plus grande postérité politique comme sociétale que celle des Gilets jaunes ?
Il y a deux questions à distinguer dans votre question.
Sur le plan politique, ils laisseront assurément une plus grande postérité que les Gilets jaunes pour deux raisons. Premièrement, il s’agit d’une mobilisation qui obtient des résultats politiques. Si les syndicats sont en perte de vitesse depuis la deuxième ère des mouvements sociaux (soit à partir des années 1970), depuis la réélection d’Emmanuel Macron, ils n’ont finalement pas obtenu grand-chose. La réforme des retraites a été adoptée contre l’opinion des actifs et des Français et les mouvements sectoriels comme les grèves à l’hôpital ou du corps enseignants actuellement n’obtiennent rien. Deuxièmement, les syndicats agricoles ont réussi politiquement à ne pas rester en marge d’un mouvement collectif spontané, qui plus est transnational. Ils auraient pu se faire déborder par des collectifs indépendants d’agriculteurs français et européens. Or, au contraire, ils se sont appropriés les codes « Gilets jaunes » pour faire émerger une génération de Gilets verts. En somme, les syndicats agricoles démontrent que des syndicats peuvent jouer un rôle au XXIème siècle et se faire entendre des politiques sans bloquer la France du Travail pendant plusieurs semaines.
Sur le plan sociétal, cela est plus discutable. Les Gilets jaunes ont réussi à faire émerger une France périphérique, à qui tous les politiques ne font que de s’adresser. Les thématiques de paupérisation des classes moyennes, de salaires insuffisants pour faire face aux fins de mois difficiles, sont devenues des clés du débat public. Pour l’instant, la crise des agriculteurs n’a pas atteint cette masse critique, notamment pour deux raisons : elle possède une date de fin avec le Salon de l’Agriculture le 5 mars prochain, ce qui n’était pas le cas des Gilets jaunes et elle risque d’être balayée par une nouvelle crise sectorielle dans l’éducation, la santé ou l’industrie, si les syndicats s’inspirent de leur mobilisation. En revanche, les agriculteurs se distingue sur un point : le soutien de tous les Français peu importe leur catégorie socio-professionnelle. Or, les Gilets jaunes avaient vu l’adhésion à leur cause diminuer face aux Français partisans de l’ordre.
7) La mobilisation des agriculteurs marque-t-elle la fin de la domination idéologique incontestée des écologistes ?
La mobilisation des agriculteurs inflige une triple défaite aux écologistes.
Tout d’abord, elle signe une défaite politique dans l’opinion publique. En effet, selon un récent sondage CSA pour CNEWS, Europe 1 et Le JDD, 49% des Français font davantage confiance aux agriculteurs qu’aux écologistes s’agissant de la protection de l’environnement. Cela est à mettre au regard que les Français accordent une importance forte à la protection de l’environnement. Toutes les enquêtes d’opinion montrent qu’il s’agit de l’une des 4 à 5 priorités soutenues par environ 70% des Français. Pourtant, les écologistes n’atteignent pas des scores électoraux importants. Donc, les écologistes n’arrivent pas à convaincre les Français sur ce thème.
De plus, les agriculteurs ont infligé une défaite sur le champ intellectuel aux écologistes, notamment dans le débat entre les partisans de la croissance et ceux de la décroissance. Les Français ont bien compris que le niveau de suicides important des agriculteurs et la crise de la transmission des exploitations agricoles sont le résultat d’un revenu insuffisant tiré par leur travail et par un manque de compétitivité pour exporter. Sur ce thème, les écologistes proposant la décroissance de la production et donc des revenus subissent un nouveau camouflet.
Enfin, les écologistes ont subi une défaite scientifique. Le débat sur la protection de l’environnement est un débat scientifique qu’il convient d’éclairer ainsi. Les écologistes ont longtemps confisqué le débat en invoquant pourtant des sources scientifiques telles que les rapports du GIEC. Seulement, la confiscation du débat a contribué à faire diminuer la culture scientifique de l’opinion publique sur les enjeux cruciaux de la transition écologique. Par exemple, un sondage réalisé en 2018 par BVA révèle que 86 % des 18-34 ans, pensent à tort que le nucléaire contribue au réchauffement de la planète alors que cela est factuellement faux comme l’expliquent tous les experts.
Toutefois, nous avons de quoi être optimistes sur la défaite des écologistes. Les Français ont de quoi les tenir responsables du renchérissement du coût du transport avec la promotion de la voiture électrique et l’abandon programmé de la voiture thermique, de la crise du logement par le retrait de logements aux DPE faibles à partir de janvier 2024, et surtout de la crise énergétique après la diminution drastique des investissements dans le nucléaire sous la mandat de François Hollande après un accord parlementaire avec EELV. Ainsi, il est préférable d’adopter une écologie du progrès marqué par l’abandon de sa dimension punitive pour les classes populaires et les classes moyennes afin de faire de la France et de l’Europe une superpuissance écologique pour maintenir un cadre de vie sain. Cette rupture de paradigme et ces défaites pour les écologistes auront certainement des impacts majeurs sur le scrutin européen, dans la mesure où il s’agissait en 2019, de la principale force de gauche avec 13%, qui avait effectué une remontée dans les sondages à partir du mois de mars 2019.
Matthieu Hocque, Directeur adjoint des Etudes du Millénaire spécialiste des questions de politiques publiques
Alessandro Roberto, Analyste au Millénaire
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Crédit Photo : Des centaines d’agriculteurs rassemblés à Paris le 8 février, Bertrand Guay, sous license AFP.
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