Matthieu Hocque et Denis Nicolaï pour Valeurs : « Crise des urgences : les leçons du modèle allemand »

TRIBUNE. L’état des services d’urgence illustre l’effondrement de notre système de santé, une situation que Gabriel Attal n’a fait qu’effleurer lors de son discours de politique générale le 30 janvier. La comparaison avec l’Allemagne permet de dégager des solutions.

Dans son discours de politique générale, le Premier ministre a détaillé un catalogue de mesures pour le monde de la santé sans ligne directrice (recrutement et régularisation de médecins étrangers, obligation de gardes pour les médecins libéraux dans les déserts médicaux, « taxe lapin », etc.).  Pourtant, les grèves aux urgences se sont multipliées tout au long du mois de janvier pour alerter sur la situation.

Si certaines mesures peuvent être bonnes, il n’y a aucune remise en question du modèle. Seulement, il n’est pas possible de soigner des problèmes sans rompre avec le mode de pensée qui les ont générés. D’autant plus qu’avec le vieillissement de la population, la prévalence des maladies chroniques ou encore les futures pandémies, la crise des urgences est bel et bien devant nous.

Tiers-mondisation des urgences

Les urgences souffrent d’un excès de socialisme. En 1981, les socialistes auront introduit un legs encombrant sur lequel les responsables politiques ne sont jamais revenus : l’État bureaucratique. Au niveau de la santé, cela s’illustre à deux niveaux. D’un côté, le personnel non-soignant est surreprésenté à l’hôpital. L’OCDE relève que « 35,22 % des emplois hospitaliers en France ne sont ni médicaux ni paramédicaux, contre 24,3 % en Allemagne ». De l’autre côté, les ARS étouffent l’activité médicale à l’hôpital pour un coût de plus de 1 milliard d’euros et 10 000 fonctionnaires. La crise sanitaire a rappelé que c’étaient les soignants qui ont pu tenir les urgences face à l’afflux de patients et non les technocrates.

Les urgences sont en voie de tiers-mondisation. Elles font face à une dégradation de la qualité du service public sur la quasi-totalité du territoire. En effet, selon une enquête de la DGOS, près de 25% des 680 services d’urgence sont à minima en situation de fermeture partielle dans plus de la moitié des départements. De même, selon la FHF, la situation de 41% des services d’urgence s’est dégradée en 2022. Les urgences manquent de tout : ressources humaines puisque 90% des hôpitaux en tension manquent de personnel médical selon une étude de la DGOS et matérielles avec les fermetures de lits dans certains services comme en maternité ou psychiatrie. Pourtant, la France dépense 9% de son PIB pour la santé, soit 1 487€ par habitant contre 1 264€ par habitant pour l’Allemagne. Ainsi, la crise des urgences soulève le paradoxe des services publics français : pourquoi les Français dépensent plus que les autres pour un service public moins bon ?

La crise des urgences est devant nous

Les Français continueront de plus en plus à aller aux urgences. Il s’agit d’une tendance pérenne sur les 30 dernières années. En effet, en 1993, il y avait moins de 10 millions de passages aux urgences contre plus de 21 millions en 2023. Pour autant, la population française n’a pas doublé entre temps. Cette évolution s’explique par deux dynamiques qui s’accentueront au XXIème siècle. D’une part, le vieillissement de la population augmente le nombre de chutes, première cause de mortalité chez les plus de 65 ans, avec près de 400 000 personnes âgés qui font une chute accidentelle donnant lieu à une intervention en urgence. D’autre part, la prévalence des maladies chroniques et affections longues durée (ALD) augmente les flux vers les urgences, notamment pour ce qui concerne la cancérologie. Il pourrait ainsi y avoir près de 30 millions de passages aux urgences d’ici 2030.

La France souffre d’une pénurie de temps médical pour les 30 prochaines années. La démographie médicale a été comprimée durant des années par le numerus clausus et par les capacités d’accueil de nos facultés de médecine, ce qui fait diminuer le nombre de professionnels de santé dans le pays. De plus, les nouveaux médecins ne sont pas prêts à travailler autant que les générations précédentes. Auparavant, certains médecins travaillaient 70 heures par semaine. Nous aurons donc moins de médecins et des médecins travaillant moins. C’est pourquoi la crise des urgences est devant nous.

Renouer avec une vision : les leçons du modèle allemand

Il est possible de trouver dans le modèle allemand des remèdes pour résoudre la crise des urgences. En effet, l’Allemagne a traversé une crise de son système de santé au début des années 2000 en raison de la réunification pour atteindre une qualité de service optimale dans les Länder de l’Est comme de l’Ouest et face au vieillissement annoncé de sa population. Le modèle allemand se caractérise par trois facteurs : un système décentralisé avec une médecine libérale plus homogène sur le territoire, une gestion en amont des urgences préhospitalières par la régulation y compris non-médicale et une médecine urgentiste qui n’est pas indépendante de l’hôpital. Ainsi, l’Allemagne dépense moins que nous pour un meilleur service, plus de lits et un personnel mieux payé.

Il n’y a pas de fatalité à la crise des urgences. Les responsables politiques doivent rompre avec le manque de courage politique car les Français payent un service public des urgences en voie de tiers-mondisation. Pour répondre à la crise, le modèle allemand donne trois pistes : un temps médical augmenté (en réinstaurant l’obligation de permanence des soins (PDS) pour les généralistes supprimée en 2002) et mieux réparti sur le territoire (en développant les maisons médicales de garde), un service de régulation plus opérant (en démultipliant les offres de transport en fonction des niveaux d’urgence pour mieux acheminer les personnes situées loin des urgences) et des urgences débureaucratisées (en supprimant les ARS).

Depuis la crise sanitaire, les Français ne peuvent plus affirmer que leur système de santé est le meilleur du monde. S’il ne s’agit pas de copier l’Allemagne, identifier les ressorts pertinents doit permettre de bâtir un service public français des urgences efficace pour accompagner le développement d’une médecine du XXIème siècle qui constitue un des socles pour faire de la France, une nation de savants.

Matthieu Hocque, Directeur adjoint des Etudes du think-tank gaulliste et indépendant Le Millénaire

Denis Nicolaï, Analyste au Millénaire

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Crédit Photo :  Opération, Hôpital, Docteur, sasint, sous license Pixabay.

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