1- Lucie Castets, la Première ministre du Nouveau Front Populaire, a évoqué la possibilité de travailler texte par texte en cas de nomination et a confié que le RN pourrait voter la proposition de loi sur l’abrogation de la réforme des retraites. Cela a été confirmé par le RN. Les Républicains sont-ils en capacité de répondre à la grande peur des électeurs de droite face au NFP et à sa convergence avec le RN sur le programme économique ? La ligne autonome des Républicains peut-elle être un atout ?
Les électeurs de droite redoutent une arrivée à Matignon du Nouveau Front Populaire puisque 58% des Français ne souhaitent pas que Lucie Castets soit nommée Première ministre. Les électorats de droite sont bien évidemment les plus hostiles à cette idée avec 77% des électeurs des Républicains et 77% des électeurs du Rassemblement national. Or, ces dernières législatives ont donné deux enseignements pour la droite républicaine : d’une part, son socle électoral a tenu malgré une forte érosion depuis 2012 (8,9 millions de voix aux législatives de 2012, 4,8 millions de voix en 2017, 2,5 millions en 2022 et 2,2 millions en 2024) et d’autre part, la grande majorité de ces députés ont été élus contre des candidats du Rassemblement national ou du NFP, marquant la volonté d’électeurs du bloc central de faire barrage aux programmes économiques irresponsables (le NFP et le RN proposant respectivement 179 milliards et 71 milliards de dépenses supplémentaires).
Seulement, si la gauche arrive à Matignon, elle est prête à tout pour faire passer ses textes, n’étant pas à une incohérence près. D’un côté, cela ne dérange pas la gauche de gouverner au maximum par décret (revoir les décrets d’application de la réforme des retraites, hausse du SMIC) alors qu’elle avait reproché aux macronistes d’outrepasser le Parlement lorsqu’ils gouvernaient par décret. De l’autre, cela ne les dérange pas de faire voter leurs projets de loi (abrogation de la réforme des retraites, taxes sur les superprofits) avec les voix du RN alors qu’ils ont reproché aux macronistes et à la droite de faire voter la loi Immigration avec le RN.
Face à une gauche qui n’a honte de rien, les Républicains disposent de deux atouts pour l’empêcher de parvenir à ses desseins grâce à une alliance de circonstance avec le Rassemblement national. Premier atout, sa ligne d’indépendance aux élections législatives en pratiquant très peu de désistements place la droite républicaine en situation d’être légitime à s’opposer au projet de gauche. Nombreux députés ne dépendent pas pour leur réélection des voix de la gauche, à la différence des macronistes. Second atout, les Républicains ont contribué par leurs votes à la présidence de l’Assemblée nationale à saper la légitimité de la gauche pour arriver à Matignon. En effet, l’élection de Yael Braun Pivet devant André Chassaigne place le barycentre de l’Assemblée nationale entre le centre et la droite (plus de 210 députés contre les environ 200 du NFP et divers gauche) et non à gauche. Il est aussi à noter que jamais dans l’histoire de la Vème République, la présidence de l’Assemblée nationale n’a été d’une couleur politique différente de celle du Premier ministre.
L’électorat LR voulant surtout éviter le NFP, le pacte législatif proposé par Laurent Wauquiez pourrait-il permettre de répondre à ces craintes et de formuler une contre offre ?
Le pacte législatif permet d’envisager que des textes antinomiques au projet de la gauche soient votés. D’une part car la droite républicaine est majoritaire au Sénat. Or, le Sénat a également le pouvoir de déposer des propositions de loi et de bloquer celles venant de l’Assemblée nationale. D’autre part car une grande partie de ces 13 textes peuvent aboutir à des majorités de projets à l’Assemblée nationale avec d’autres formations politiques (camp présidentiel, Rassemblement national) lorsque la gauche reste prisonnière du positionnement du Rassemblement national sur ses textes. Or, le Rassemblement national devra faire un choix entre son programme économique historique et ses aspirations à devenir un parti crédible sur le plan économique comme l’avait montré ses premières inflexions lors de la campagne des législatives. Ainsi, un contre-projet économique plus responsable pourrait être majoritaire à l’Assemblée nationale, y compris si la gauche parvenait à Matignon.
2- Le RN, étant compatible avec la droite sur le régalien et compatible avec le NFP sur l’économie, ne présente-t-il pas un dilemme pour l’électorat de droite ?
L’électorat de la droite républicaine est, depuis plusieurs élections, l’un des plus poreux à ses candidats. En effet, dans les derniers sondages avant les élections européennes, le choix des électeurs dans la liste de François-Xavier Bellamy n’était sûr qu’à 60/70% selon les instituts. Une telle frilosité de l’électorat peut entraîner une fuite de celui-ci vers des partis tels que le RN plus susceptible à lui apporter des propositions liées au régalien ou vers Ensemble, ici plus susceptible à lui parler économiquement. C’est d’ailleurs le schéma utilisé depuis plusieurs élections où l’on voit le parti central et le parti d’extrême droite faire la cour aux électeurs de la droite républicaine en parlant des sujets les plus parlant pour ceux-ci.
Historiquement, l’électorat de droite gagne lorsqu’elle arrive à opérer l’alliance de la droite orléaniste (celle attirée aujourd’hui par le président de la République) et la droite légitimiste (celle attirée par le Rassemblement national et Reconquête) sous l’égide d’un chef issu de la droite bonapartiste si l’on reprend la typologie de René Rémond. Il y a donc nécessité pour la droite de retrouver une figure d’incarnation forte qui pourra éviter cette double fuite de l’électorat. Nous pouvons considérer que les premières actions de Laurent Wauquiez ont été reçues positivement par les électeurs de droite et par les Français, puisque ce dernier est devenu la 7e personnalité politique préférée des Français en juillet 2024 selon le baromètre ELABE avec 39% d’opinion favorable, soit plus que Marine Le Pen et bien plus qu’Emmanuel Macron qui sont les deux figures qui ont attiré des électeurs républicains depuis 2017.
3- Le RN ou l’alliance de circonstance entre le RN et le NFP ne sont-ils pas de mauvaises solutions pour l’électorat de droite ? Quelle serait la stratégie audacieuse à droite et pour Les Républicains pour dépasser tout cela ?
Pour un électeur de droite modérée, les alliances contre-natures ne sont jamais de bonne solution. Pour reprendre l’exemple de l’abrogation de la réforme des retraites, dans un sondage IFOP de 2023, l’électorat de droite était le plus favorable au report de l’âge de départ (72% de soutien, 65 % pour l’électorat macroniste). Économiquement, l’alliance NFP et RN est aux antipodes des souhaits d’un électeur de droite.
La stratégie de la droite pourrait reposer sur deux volets : le travail parlementaire et la refonte du corpus idéologique. S’agissant du travail parlementaire, la droite doit démontrer que ses idées majoritaires dans le pays, le sont également à l’Assemblée nationale. C’est tout le sens du pacte législatif puisque la droite républicaine au moment où l’ensemble des partis se sont écharpés sur l’attribution des postes à l’Assemblée nationale, la droite a été la seule à mettre sur la table des idées et des projets grâce au travail parlementaire réalisés sous la précédente législature.
Enfin, la droite doit désormais se distinguer en proposant une nouvelle offre politique. Dans un pays criblé de dette (110 % du PIB au premier trimestre 2024) et menacé par l’Union Européenne de sanction pour son déficit abyssal (5,5% points de PIB), la droite doit proposer une politique économique combinant sérieux budgétaire et grands projets pour bâtir les contours d’un rêve français, à savoir un modèle économique exportateur capable de s’imposer dans une nouvelle ère économique marquée par le retour des Etats qui soutiennent leurs acteurs économiques dans le cadre d’une compétition économique accrue.
Matthieu Hocque, directeur adjoint des Etudes du think-tank indépendant Le Millénaire, spécialiste des politiques publiques
Hugo Spring-Ragain, analyste au Millénaire et spécialiste des questions économiques
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Crédit photo : François Fillon, candidat du parti Les Républicains, lors de la conférence PlacedelaSante.fr du 21 février 2017, Mutualité française, sous licence Attribution-Non Commercial 2.0 Generic, via Flickr.
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