William Thay pour Atlantico : « Congrès LR : les dessous des rapports de force »

Les adhérents LR étaient environ 80.000 à la fin de l’été, finalement, près de 150.000 adhérents seront appelés à voter en décembre pour choisir leur candidat à la présidentielle. SI l’on regarde dans le détail, qui sont ces adhérents à qui bénéficie cette hausse ?

 Ces nouveaux adhérents proviennent principalement des terres électorales des différents candidats, l’Ile-de France pour Valérie Pécresse, les Hauts-de-France pour Xavier Bertrand ou encore la Savoie pour Michel Barnier. On note malgré tout un avantage pour Michel Barnier puisqu’il provient des territoires qui ont connu la plus grande augmentation en termes de %, avec la Savoie qui a quintuplé son nombre d’adhérent. En revanche, si on raisonne uniquement sur l’évolution du nombre d’adhérent, l’avantage va en direction de Valérie Pécresse qui vient des zones les plus fournis avec l’Ile de France, plus peuplé que la Savoie ou les Hauts-de-France. Ainsi, lors du dernier décompte effectué au niveau départemental, la fédération de Savoie avait multiplié ses effectifs par 5, la fédération de Paris est celle qui a enregistré le plus de cartes d’adhésion.

L’évolution du corps électoral modifie la donne en ce sens, qu’elle bouleverse les équilibres régionaux et les motivations de vote. Si on peut raisonnablement penser que la provenance géographique aura une importance dans cet afflux, ce n’est pas du tout certain qu’une personne qui a pris son adhésion dans le département du Nord votera automatiquement pour Xavier Bertrand, même s’il existe une probabilité plus importante. Ce qui est intéressant, c’est que le corps électoral a profondément évolué. Ainsi, l’argument de fidélité mis en avant par Michel Barnier et Eric Ciotti trouve un moindre écho parmi les personnes qui ont récemment adhérer pour choisir le candidat LR, que des militants historiques. Par conséquent, si l’explication géographique était plutôt en faveur de Michel Barnier ou Valérie Pécresse, la seconde explication bénéficie à Bertrand et Valérie Pécresse également.

Si l’on prend en compte les adhérents ainsi que les performances des différents candidats LR et les sondages sur le vote interne, quels sont actuellement les rapports de force pour le premier tour du congrès de LR ?

Les sondages comme lors de l’affrontement entre Jean-François Copé et François Fillon pour la présidence du parti en 2012 n’ont que très peu d’intérêts, puisqu’ils ne sondent pas le corps électoral qui va s’exprimer en décembre prochain. À ce titre, le favori des sondages, François Fillon avait perdu face à Jean-François Copé.

On observe trois favoris parmi les postulants : Xavier Bertrand, Valérie Pécresse et Michel Barnier. Xavier Bertrand joue ainsi une partition faisant appel au vote utile des militants pour dire qu’il est la meilleure chance pour la droite voir aux électeurs tentés par Zemmour et Marine Le Pen de battre Emmanuel Macron. Le président des Hauts-de-France est le candidat qui est obtient les meilleures intentions parmi les candidats LR dans les sondages portant sur l’élection présidentielle. Il peut ainsi bénéficier d’un vote utile des militants qui voudront choisir le candidat le plus à même de l’emporter. Cette logique avait bénéficié à Ségolène Royal en 2006 et à François Hollande en 2011 aux primaires socialistes. Par contre, Alain Juppé en 2016 et Manuel Valls en 2017 n’avaient pas remporté leur primaire. Il faut également ajouter que Xavier Bertrand, comme Alain Juppé en 2016 est celui qui rencontre le plus d’hostilité de la part du noyau dur de militants en raison de son départ du parti lors de l’élection de Laurent Wauquiez.

Michel Barnier bénéficie d’un double avantage puisqu’il apparait comme le plus « présidentiable » et il use de l’argument de la fidélité à sa famille politique par opposition à Xavier Bertrand et Valérie Pécresse qui ont quitté les Républicains pour y adhérer à nouveau. À ce titre, il apparaissait comme le favori du scrutin jusqu’aux débats télévisés largement considérées comme raté mettant davantage en avant ses défauts que ses qualités. Ses prestations mettent ainsi un doute sur sa présidentialité où ses propositions ont été mises en difficulté comme le moratoire sur l’immigration, ainsi que sur sa capacité à faire exister LR face à Emmanuel Macron, Éric Zemmour ou Marine Le Pen.

Valérie Pécresse a des avantages et ressemble à François Fillon sur plusieurs aspects. Comme le vainqueur à la primaire de 2016, elle n’est pas celle qui possède le noyau dur le plus important, mais elle n’est pas la plus rejetée du cœur militant, la place étant dévolue à Xavier Bertrand. Ainsi, elle peut user de l’argument du vote utile sans être victime d’un rejet. Dans les propositions concrètes et pas uniquement les déclarations d’intention, elle possède également le programme le plus volontariste et surtout précis sur les plans économiques et régaliens. C’est ainsi la candidate la plus proche de la ligne victorieuse de Fillon en 2016. De plus, elle vient de la région qui possède le plus d’adhérent LR. Elle souffre par contre de plusieurs défauts : elle souffre d’avoir quitté le parti en 2019 même si elle le paie moins que Xavier Bertrand et pour l’instant, jamais une femme n’a été désignée comme la candidate de la droite républicaine. Ce point peut être un léger handicap avec un corps électoral âgé et masculin.

On peut ainsi résumer le rapport de force de la façon suivante : Xavier Bertrand bénéficie des sondages d’opinion, Michel Barnier et Eric Ciotti du parti tandis que Valérie Pécresse a pour elle les idées et le projet. En 2016, Alain Juppé avait les sondages d’opinion, Nicolas Sarkozy le parti, et le vainqueur François Fillon le programme. Cependant, même si cela nous offre une grille de lecture, comparaison n’est pas raison puisque le corps électoral a évolué entre la primaire de 2016 et ses 4 millions d’électeurs et les éventuels 150 000 qui vont s’exprimer début décembre.

Qui est actuellement le mieux placé pour arriver en tête au premier tour ? et au second ? 

Cela dépendra fortement de l’état d’esprit des militants au moment du vote. Ils doivent principalement s’exprimer soit en faveur d’une fidélité incarnée par Michel Barnier et Eric Ciotti, ou en faveur du candidat préféré des sondages Xavier Bertrand ou du projet avec Valérie Pécresse. Cela suppose également de connaitre l’état d’esprit des militants. Ils ne sont pas dans un esprit de victoire assuré comme en 2016. Par contre, ils peuvent être dans une situation proche de conquête comme celle des socialistes en 2006 et en 2011 qui ont choisi Segolène Royal et François Hollande qui leur offrait à la fois des chances de victoire et également des gages idéologiques avec le noyau dur des militants. Dans ce cas, les options de Xavier Bertrand et Valérie Pécresse sont les plus probables. Certains militants peuvent également considérer que l’élection présidentielle est probablement déjà perdue, et faire le choix de la fidélité avec Michel Barnier ou Éric Ciotti. C’était ainsi le choix des socialistes en 2017 qui avaient très peu de chance de gagner. 

Alors que le débat LR a d’abord tourné sur les questions de procédure puis de loyauté au parti, les militants LR ont l’occasion de s’exprimer sur trois principales questions qui doivent s’attacher à une primaire. Qui est le meilleur candidat ? Qui serait le meilleur président ? Qui possède le meilleur programme ? 

Par son projet, Valérie Pécresse apparait comme la meilleure candidate et la meilleure présidente parmi les prétendants à l’investiture LR. Michel Barnier étant le plus susceptible de lui ravir cette place, s’il inversait la dynamique des débats télévisés. L’argument de Xavier Bertrand qui indique qu’il est le meilleur candidat ne repose que sur les sondages et ne prend pas en compte les dynamiques. Il souhaite attirer les classes populaires qui ont déjà le choix à sa droite entre Éric Zemmour et Marine Le Pen. Comment peut-il les concurrencer sur ce segment sans radicaliser son discours et sans perdre des électeurs plus modérés ? 

De l’autre côté, Valérie Pécresse et Michel Barnier visent plutôt les électeurs plus traditionnels de la droite : bourgeoisie, CSP+, retraités, commerçants et chefs d’entreprise. Ces électeurs sont divisés entre Macron, Zemmour et le candidat LR. Le polémiste attire une partie de l’électorat LR sur les questions civilisationnelles tandis que le président de la République le fait sur les questions économiques. En effet, les électeurs LR séduits par Macron attendent surtout un candidat crédible qui ne propose pas une aventure sur le plan économique. Les électeurs LR séduits par Zemmour attendent des réponses fortes sur les volets civilisationnelles, sécuritaires et sur l’immigration. La seule chance pour LR d’exister dans le débat public est de proposer les deux éléments sur une ligne finalement gaulliste, libérale et conservatrice, proche de François Fillon. 

Michel Barnier, Éric Ciotti et Valérie Pécresse répondent à ces impératifs, mais cette dernière s’est montrée plus présidentiable que Ciotti tout en ayant le plus de chance de remporter l’élection présidentielle. Elle est également plus dynamique, plus précise et plus réformatrice dans son projet que Michel Barnier, qui s’est refusée à préciser certaines parties de son projet notamment économique sur la baisse du nombre de fonctionnaires. Ainsi Valérie Pécresse apparait comme la plus à même à attirer à elle la bourgeoisie, les cadres et les retraités attirés par Emmanuel Macron et Éric Zemmour, et offrir un petit chemin de la victoire pour LR.

Les « outsiders » Philippe Juvin et Eric Ciotti ont-ils une chance ? Sur quoi peuvent-ils s’appuyer ?

Philippe Juvin et Éric Ciotti ont des chances limitées de remporter le Congrès LR, puisqu’ils n’apparaissent pas comme des candidats susceptibles de bouleverser l’équilibre de la prochaine élection présidentielle.

Éric Ciotti a une doctrine politique claire qui parle le plus au cœur des militants où il rappelle sa fidélité, sa constance politique. Ses prestations lors des débats télévisés ont mis en lumière ses qualités. De plus, il se situe dans les Alpes-Maritimes qui est une des plus grosses fédérations LR qui lui permet d’avoir un certain score. Cependant, ils rencontrent deux défauts : ses faibles intentions de vote dans les sondages portant sur l’élection présidentielle et son manque de présidentialité. Ce sont deux motifs qui limitent ses chances de victoire, les militants LR ne voudront pas revivre l’expérience du Parti socialiste en 2017 avec Benoit Hamon.

Philippe Juvin a démontré lors des débats télévisés un certain sérieux et a pour lui d’être le candidat nouveauté. En effet, il exerce une activité de chef urgentiste, mis en lumière avec la crise sanitaire en parallèle de ses mandats. Cela qui lui permets de répondre à une double attente des Français. Il est ainsi en partie de la société civile tout en possédant de l’expérience politique. En revanche, il a adopté une ligne en faveur des services publics qui semble en marge de la tradition libérale de LR. De plus, il apparait davantage comme un ministre de la Santé aux yeux des militants plutôt que comme un candidat capable de mener LR à la victoire.

Quelles sont les configurations les plus probables pour le second tour ? Quels ralliements et soutiens sont le plus susceptibles de s’opérer dans ces différents scénarios ?

Si l’on reste sur la dynamique actuelle des débats, il est probable que deux des trois favoris (Xavier Bertrand, Michel Barnier, Valérie Pécresse) se retrouvent au second tour. Cette hypothèse probable peut toutefois se heurter à deux inconnues. D’un côté, si Michel Barnier continue dans la lignée des débats télévisés précédents, il peut s’effondrer davantage limitant ses chances d’accès au second tour. De l’autre côté, il ne faut pas également exclure la dynamique d’Éric Ciotti qui peut user du même levier de la fidélité à sa famille politique et à ses convictions pour attirer le vote en faveur de Michel Barnier.

Dans le cadre d’un second tour, nous avons deux grands scénarios qui peuvent conditionner les ralliements. Les soutiens s’effectueront vers celui qui a le plus de chance de gagner le Congrès. En effet, si nous avons un candidat qui arrive largement en tête, il est probable qu’il bénéficie du ralliement des candidats éliminés au premier tour. Dans le cas, où les deux premiers arrivent en tête avec des scores serrés, il est probable que les ralliements s’effectuent en faveur de celui qui bénéficie des meilleures intentions de vote dans les sondages portant sur l’élection présidentielle. Ainsi, dans cette hypothèse, et dans l’ordre de préférence : Xavier Bertrand > Valérie Pécresse > Michel Barnier > Éric Ciotti. À ces hypothèses, peuvent s’ajouter des considérations personnelles, tactiques et idéologiques.

Michel Barnier a beaucoup été présenté comme le préféré des adhérents, est-ce qu’il pourrait se retrouver avec un bloc des 4 autres contre lui en cas de présence au second tour ? d’autres candidats pourraient-ils faire l’unanimité contre eux s’ils arrivaient au second tour ?

Avant ses prestations télévisées ratés, Michel Barnier était le favori du Congrès. Il répondait à plusieurs enjeux : la fidélité au parti politique, la présidentialité, le soutien implicite de Laurent Wauquiez et des intentions de votes qui le plaçaient comme le troisième meilleur candidat de LR derrière Bertrand et Pécresse. Pour renforcer ses chances, il doit impérativement s’améliorer au risque de souffrir d’une érosion de ses intentions de vote. Il peut ainsi très bien perdre les électeurs les plus radicaux qui vont préférer la ligne claire d’Éric Ciotti ou bien les plus modérés qui vont se tourner vers Valérie Pécresse, qui apparait comme proche idéologiquement. 

Ses prestations télévisées ont ainsi mis un doute sur sa capacité à faire exister LR face à Emmanuel Macron et Éric Zemmour, et donc à remporter la prochaine élection présidentielle. Ainsi, s’il se retrouvait dans un second tour face à Xavier Bertrand ou Valérie Pécresse, il est probable que les candidats s’unissent contre lui. Cependant, deux hypothèses pourraient lui permettre d’inverser la donne. Soit il s’améliore dans les débats pour inverser la dynamique, soit il devance largement ses postulants au premier tour. Ainsi, comme François Fillon en 2016, ou encore François Hollande en 2011, ils pourraient bénéficier de ralliements avec des candidats qui ne voudront pas se froisser avec le vainqueur.

Le départ de Valérie Pécresse et Xavier Bertrand de LR, puis leur retour, pourrait-il susciter une hostilité au second tour alors qu’ils sont plutôt en position favorable pour le premier tour ?

Le départ de Valérie Pécresse et de Xavier Bertrand de LR suscite une hostilité, qui est encore plus prononcé de la part des adhérents encore encartés avant le choix du Congrès. En effet, il s’agit de militants fidèles qui n’ont jamais quitté cette famille politique qu’importe les événements. Cependant, avec les nouveaux adhérents, cette hostilité est moins prononcée. Or, le corps électoral a presque doublé depuis la fin de l’été. À cela, si l’on se penche sur le vote portant sur le choix du processus de désignation, 40 000 personnes se sont exprimés dont seulement 23095 en faveur du Congrès fermé. Ils constituent le noyau dur des militants qui peuvent être les plus hostiles à Valérie Pécresse ou Xavier Bertrand. En constituant environ 15% du corps électoral, ils peuvent faire la différence dans un second tour. Dans le cas d’un affrontement au second tour entre les deux, il est vraisemblable qu’une partie s’abstienne, et qu’une autre partie opte davantage pour Valérie Pécresse. En effet, elle semble moins pâtir de l’hostilité du noyau dur que Xavier Bertrand.

Par William Thay, Président du Millénaire

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Crédit photo : Arash Derambarsh sous licence CC BY-NC-SA 2.0

Crédit photo : Christian Jacob sur Wikimedia Commons sous licence CC BY-SA 4.0

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