Marion Pariset et Emeric Guisset dans Marianne « Faire de la 5G un vecteur d’indépendance pour l’Europe »

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Si l’opinion française est encore hésitante concernant le déploiement massif de la 5G sur le territoire national, en Europe et dans le monde, c’est pourtant bien une course à l’innovation technologique qui est en marche. Les États qui réussiront à tirer profit en premier des nouvelles opportunités offertes par la 5G, disposeront d’une avancée certaine en termes d’attractivité sur la scène internationale, de la même façon que le développement des réseaux ferrés a su entraîner les croissances nationales lors de la révolution industrielle au XIXe.

UNE EUROPE À LA CROISÉE DES CHEMINS

Dans leur affrontement pour le leadership mondial, Chine et États-Unis ont compris l’importance capitale de la révolution technologique en cours. Les deux géants s’opposent à travers deux visions du numérique et essayent de rallier à leurs côtés le plus de pays possible. De son côté, l’Europe est à la croisée des chemins. Etant un agglomérat de puissances ayant longtemps imposé leur rythme à une grande partie de la planète, l’Union européenne aurait pu et dû donner un nouveau souffle au Vieux Continent pour exister face aux nations émergentes, notamment sur les sujets technologiques, où elle dispose d’un réel savoir-faire.

Malheureusement, sur les enjeux relatifs à la souveraineté numérique, l’UE est totalement absente, la France au premier chef. À titre d’exemple, 80% des entreprises cotées au CAC40 ont leur cloud chez Amazon et sont donc sous le coup du Cloud Act américain, qui contraint les fournisseurs de services à transmettre les données demandées. Alors que la gestion des données et leur propriété sont un élément structurant de la guerre froide qui tait son nom entre les Etats-Unis de Donald Trump et la Chine de Xi Jinping, la passivité et la naïveté de l’Europe interrogent.

Ce constat est d’autant plus inquiétant que les nouveaux usages permis par la mise en place de ce réseau doivent révolutionner les interactions entre les Européens et leur environnement (voiture connectée, émergence de nouveaux métiers etc.) ainsi que la donne en matière de cybersécurité.

De fait, si l’UE a su faire preuve de communication et mettre en œuvre une action commune avec le plan de relance européen, elle ne cesse de se diviser sur les questions relatives au numérique. Taxe sur les GAFA, boycott du géant chinois des télécommunications Huawei, déploiement de la 5G, l’Europe se déchire. Pourtant, à y regarder de plus près, alors que l’industrie européenne des télécoms patine, les pays européens disposent d’une réelle avance technologique dans ce domaine. Les entreprises européennes détiennent en effet 55 % des brevets essentiels de la technologie 5G, alors que la Chine en détient 30 % et les États-Unis 18 %. Entre un allié américain affirmant une véritable stratégie de souveraineté numérique en défendant les intérêts des États-Unis et de ses entreprises sur la scène mondiale, et une Chine qui ne cache plus ses volontés de domination mondiale à travers le volet technologique, l’Europe doit renouer avec les grands projets qui ont fait son succès lors de sa création.

L’IMPORTANCE DE LA 5G

De fait, le cas symptomatique de la 5G peut être l’électrochoc nécessaire au retour de l’Europe dans le jeu diplomatique. Car ne nous y trompons pas : si les États européens sont incapables de proposer une troisième voie entre Chine et États-Unis, ce ne sera pas non plus dans les dimensions diplomatique, militaire ou économique qu’ils y parviendront. Le retour de l’Europe dans l’Histoire passe donc par le fait de porter une ambition globale, sous l’impulsion de la France.

L’Europe doit en effet se donner les outils pour concurrencer Chinois et Américains et desserrer l’étau qui l’oppresse, tant en termes juridiques (ici le Cloud Act américain, là la nouvelle loi cyber-sécurité chinoise) que technologiques. Nokia et Ericsson sont les derniers équipementiers télécoms européens, mais sont malheureusement trop peu influents aujourd’hui. Les efforts de l’Europe à respecter les principes de libre concurrence, poussés à l’extrême dans le droit européen, se retournent contre elle dans ce domaine alors que les deux grandes puissances mondiales jouent selon leurs propres règles, et font usage de toute la concurrence déloyale qui s’avère nécessaire afin d’atteindre leurs objectifs stratégiques. Il est donc crucial pour l’Europe de sortir du dogmatisme idéologique dans lequel elle s’est enfermée, pour soutenir la création d’un champion européen des équipements télécoms qui, en étant prioritaire sur les marchés publics européens pour les infrastructures télécoms, pourrait être une alternative à Huawei et aux GAFA. Car c’est une certitude, si l’Europe n’a pas l’assurance de la sécurité de ses réseaux télécoms et des serveurs d’hébergement de ses données, elle sera alors réduite à l’état de vassal des deux grandes puissances.

 

Enfin, l’important est dans notre cas de ne pas reproduire les erreurs du passé. En se désindustrialisant et en cédant ses fleurons à des groupes étrangers, l’Europe a été incapable d’innover et d’avoir un rôle central dans le cadre de la 5G. Elle doit d’ores et déjà penser à l’avenir en favorisant la R&D de la prochaine génération de télécommunications, pour ne pas cette fois-ci rater le train de la 6G. Ne pas être laissés au bord du chemin de l’Histoire commence maintenant, la 5G étant le premier pas pour que l’Europe puisse porter une véritable vision d’avenir pour ses citoyens.

Crédit photo : Christoph Scholz sous la licence CC BY-SA 2.0

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