William Thay pour ValeursActuelles : « Borne à Matignon : la fin du en même temps et l’avènement de l’extrême centre »

La nomination d’Élisabeth Borne à Matignon concrétise la fin du “en même temps” d’Emmanuel Macron et l’avènement de l’extrême centre. Cette confirmation du macronisme incarne une nouvelle offre politique pérenne et marque aussi un nouveau clivage avec la structuration de trois blocs, de gauche, du centre et de droite, relève William Thay, gaulliste spécialisé en politiques publiques et président du think tank Le Millénaire.

L’arrivée d’Élisabeth Borne à Matignon marque la fin de deux époques. Pour la première fois depuis Édith Cresson en 1992, une femme est nommée Première ministre. Cette nomination marque également une clarification du logiciel politique du macronisme. En effet, elle marque la fin du “en même temps” comme dépassement des clivages entre la gauche et la droite avec l’avènement de l’extrême centre. Cette donne politique marque un système politique coupé en trois blocs.

La fin du “en même temps”

L’élection d’Emmanuel Macron en 2017 répondait à la volonté des Français de dépasser les clivages entre la gauche et la droite. En effet, les différentes alternances entre la gauche et la droite depuis 1981 n’ont pas permis de répondre aux causes du malheur français lié à deux phénomènes : la mondialisation et la transition de l’ère keynésienne à l’ère néolibérale. Ainsi, les Français ont exprimé en 2017 un double refus : celle d’un match retour entre Nicolas Sarkozy et François Hollande, ainsi que de l’alternance automatique entre la gauche et la droite. Le “en même temps” proposé par Emmanuel Macron permettait non seulement de dépasser les clivages, mais également de réunir les forces de centre gauche et de centre droit pour adapter définitivement la France à la mondialisation. Les nominations d’Édouard Philippe et Jean Castex permettaient ainsi de matérialiser le dépassement des clivages avec un Président provenant du centre gauche et un Premier ministre de centre droit.

Cette proposition politique répondait aux ambiguïtés des deux grands partis de gouvernement. En effet, le Parti socialiste comme les Républicains (auparavant le RPR puis l’UMP) souffrait d’ambiguïté sur deux sujets clés : les réformes économiques et la construction européenne. Le Parti socialiste était ainsi tiraillé par sa gauche keynésienne et souverainiste incarnée par les frondeurs sous François Hollande qui l’empêchait d’assumer sa conversion à l’économie de marché. De l’autre côté, les Républicains étaient également tiraillés par sa droite populaire et souverainiste et les partisans d’une adaptation de la France à la mondialisation sur le modèle allemand. La naissance politique du macronisme réside dans l’incapacité de ces deux partis à choisir une ligne claire entre l’aile populaire et souverainiste d’un côté et l’aile libérale et européenne de l’autre. Ainsi, Emmanuel Macron permettait aux deux franges libérales et européennes de travailler ensemble pour porter le projet d’adaptation de la France à la mondialisation.

Une nouvelle offre politique

La nomination d’Élisabeth Borne marque d’abord la confirmation du macronisme comme une nouvelle offre politique pérenne, celle de l’extrême centre. Tout d’abord, Emmanuel Macron, comme ses prédécesseurs, a choisi une personnalité de sa propre famille politique. Ce choix marque la fin du dépassement des clivages et par conséquent du “en même temps”. Ensuite, ce choix permet davantage d’affirmer et d’appliquer la ligne politique du macronisme plutôt que de piocher des idées de gauche et des idées de droite. Enfin, cette nomination peut laisser penser à une pérennisation de l’offre politique du macronisme aussi bien sur le plan programmatique que politique. En effet, cela permet d’une part d’asseoir Renaissance comme un parti politique à part entière qui a vocation à durer tout en offrant une ligne programmatique qui soit d’émanation propre plutôt que d’être une synthèse des bonnes idées de la gauche et de la droite. Il s’agit ainsi d’un extrême centre comme nouvelle offre politique plutôt qu’une constellation des ailes libérales et européennes des deux anciens partis de gouvernement.

La nomination d’Élisabeth Borne marque également un nouveau clivage avec la structuration de trois blocs distincts : de gauche, du centre et de droite. Le bloc de gauche est désormais dominé par La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon autour de laquelle les autres partis de gauche ont fait alliance. Le bloc central est dominé par le parti Renaissance de l’extrême centre avec quelques alliés comme le Modem de François Bayrou, Territoire de Progrès d’Olivier Dussopt et Horizons d’Édouard Philippe. Le bloc de droite fait cependant l’objet de plusieurs incertitudes. La première incertitude réside dans le positionnement des Républicains, vont-ils proposer un programme de rupture à Emmanuel Macron ? Vont-ils perdurer dans leur tentative de troisième voie entre la majorité présidentielle et Marine Le Pen ? Peuvent-ils s’allier avec le président de la République notamment s’il n’a pas de majorité absolue à l’issue des élections législatives ? La seconde incertitude réside dans le leadership de ce bloc qui ne sera vraisemblablement pas résolue avant les prochaines élections européennes et le premier tour de la prochaine élection présidentielle.

La nomination d’Élisabeth Borne est doublement historique puisqu’elle rompt avec une absence féminine à Matignon depuis 30 ans et puisqu’elle ancre des nouveaux blocs politiques. Sur le plan politique, ce choix clé doit à la fois permettre au macronisme de perdurer comme offre politique et également de s’adapter aux circonstances du quinquennat. Ainsi, le choix d’Emmanuel Macron marque une rupture avec une Ve République habituée à une domination masculine à Matignon et un bipartisme entre deux grandes forces.

Par William Thay, Président du Millénaire

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Crédit photo : Jacques Paquier sous licence CC BY 2.0, via Flickr

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