William Thay pour LesÉchos : « Élection présidentielle : vers un 21 avril à l’envers ? »

Ce quinquennat, marqué par les crises et l’imprévu, pourrait se conclure par l’inattendu lors de la prochaine élection présidentielle. Pour William Thay du think-tank le Millénaire, nous pouvons assister à un 21 avril à l’envers, avec l’absence de candidat de droite républicaine ou extrême au second tour de la prochaine élection présidentielle.

La crise en Ukraine bouleverse les prédictions politiques à moins de trente jours du premier tour de l’élection présidentielle. Alors qu’on décrivait un pays de plus en plus à droite et un président de la République rejeté, nous pourrions assister à un double paradoxe marqué par la réélection d’Emmanuel Macron et l’absence de candidat de droite républicaine ou extrême au second tour. Ainsi, la montée de Jean-Luc Mélenchon dans les sondages pourrait constituer un 21 avril 2002 à l’envers.

Un double paradoxe politique

Le 21 avril 2002 a été marqué par la qualification par Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle ainsi que l’élimination du favori des sondages Lionel Jospin. Cette élection était alors un paradoxe puisqu’avec un centre de gravité politique qui se déplaçait de plus en plus à gauche, aucun de ses nombreux représentants (Jospin, Taubira, Chevènement, etc.) n’avait pu se qualifier au second tour. De plus, le président sortant Jacques Chirac avait été réélu alors qu’il était en grande difficulté après la dissolution ratée de 1997 suite aux grandes grèves contre les réformes Juppé.

En ce sens, l’élection présidentielle 2022 pourrait conduire au même paradoxe. D’un côté, Emmanuel Macron est considéré par la classe politique comme un président rejeté à la suite des différents mouvements sociaux comme ceux des Gilets jaunes. Pourtant, sa présidence marquée par les crises se termine par une stabilité politique. En effet, sa cote de popularité est importante pour un président sortant d’autant plus qu’il n’est pas en situation de cohabitation comme l’étaient Jacques Chirac et François Mitterrand. De plus, ses intentions de vote décollent à la suite de la crise en Ukraine.

De l’autre côté, l’affaiblissement de la gauche peut conduire à un réflexe de survie en faveur de Jean-Luc Mélenchon. Ce dernier profite de plusieurs facteurs cumulatifs qui expliquent son regain. Tout d’abord, il n’a pas de concurrent crédible sur sa base radicale. Ensuite, les candidats modérés comme Anne Hidalgo ou Yannick Jadot n’arrivent pas à faire émerger une nouvelle vision de la social-démocratie entre Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon, ce qui rend leur positionnement politique illisible. Enfin, dans un contexte de crise, le candidat de la France Insoumise rassure une partie de la gauche par son expérience à la différence de ses concurrents.

Vers une recomposition de la droite

Ce scénario de 21 avril à l’envers est alimenté par la compétition à coup de surenchère des candidats de droite républicaine et extrême qui conduit à plusieurs phénomènes. Cela conduit d’abord à un affaiblissement de leur base électorale puisqu’un sondage du 31 janvier 2022 d’OpinionWay pour les Échos donnait un score cumulé de 47 % à Pécresse, Zemmour et Le Pen contre 41 % dans celui du 10 mars. La primaire sauvage conduit également les trois protagonistes à réduire leur chance de victoire contre Emmanuel Macron dans un hypothétique second tour, une donnée accentuée par la crise en Ukraine. En effet, la compétition à droite conduit les trois concurrents à se livrer à une surenchère où prime la radicalité , ce qui les éloigne petit à petit du centre de gravité politique du pays. Ce contexte peut conduire à un « 21 avril à l’envers » dans la mesure où les électeurs de droite sont de moins en moins incités à voter puisque les chances de victoire des trois candidats se réduisent et que le spectacle proposé est éloigné de leur préoccupation.

L’hypothèse d’un « 21 avril à l’envers » emporterait plusieurs conséquences. Tout d’abord, comme en 2002, les électeurs ne pardonneront pas aux protagonistes cet échec, ce qui signifierait la fin de leur ambition nationale, ouvrant une recomposition à la droite d’Emmanuel Macron. Ensuite, le troisième échec consécutif de la droite républicaine à l’élection présidentielle posera la question de la stratégie de ce parti avec trois scénarios.

Risque de marginalisation

Le premier serait de rester autonome avec un risque important de marginalisation du paysage politique nationale, le parti de droite deviendrait un parti de notables locaux similaire à l’UDI ou à ce que devient le Parti socialiste. Le second serait de constituer une alliance avec Emmanuel Macron sur la base d’une coalition à l’allemande pour ensuite espérer une victoire lorsque le président de la République ne pourra plus se représenter comme le SPD d’Olaf Scholz avec le départ d’Angela Merkel. Le troisième serait d’opérer une reconstruction de la droite sur le modèle de François Mitterrand dans les années 70 avec le programme commun.

Un scénario de « 21 avril à l’envers » verrait une gauche moribonde au second tour alors que les forces à la droite d’Emmanuel Macron représentant plus de 40 % d’intentions de vote n’auraient aucun représentant. Ce scénario était encore improbable il y a quelques semaines, mais ce quinquennat a été marqué par les crises et les bouleversements de situation rendant ce qui était considéré comme impossible en probabilité.

William Thay, président du Millénaire, think-tank spécialisé en politiques publiques.

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Crédit photo : Mélenchon par Actualitté sous licence CC BY-SA 2.0

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