Marion Pariset, Emeric Guisset et Matthieu Hocque pour la Revue Politique et Parlementaire : « Vaincre le malheur français : les leçons asiatiques »

Alors que la crise sanitaire a révélé les vulnérabilités structurelles de notre modèle économique, la visite du président Macron cette semaine en Alsace est placée sous le signe de la réindustrialisation.

Après avoir perdu 2 millions d’emplois industriels depuis 1980, la France n’a pas été en mesure de produire suffisamment de masques alors que le chef de l’État avait déclaré la guerre au virus. La mise en lumière de nos faiblesses a conduit à un changement de mentalité. Alors que le secteur industriel français représente moins de 12 % en 2020 de la valeur ajoutée nationale contre 25 % en 1980, la crise sanitaire a acté l’impératif de réindustrialiser le pays.

Pour autant, tenter de revenir au monde d’avant-crise et promouvoir un interventionnisme de l’État tous azimuts serait une erreur. En l’absence de grands penseurs économiques pour imaginer le monde d’après, alors que les ères keynésiennes et néolibérales avaient Keynes et Friedmann, nous devons nous inspirer de ce qui fonctionne déjà. A partir du modèle des pays est-asiatiques, il s’agit d’identifier les ressorts d’une politique industrielle efficace basée sur la libre concurrence, où le rôle de l’État est de garantir un écosystème favorable à ses acteurs économiques.

Quels enseignements tirer des pays asiatiques aujourd’hui ?

Les pays est-asiatiques sont devenus le centre de gravité du commerce international. Cette tendance de fond de bascule du cœur des échanges commerciaux de l’Atlantique vers l’Indopacifique a été accélérée par la crise sanitaire. Alors qu’ils étaient encore peu industrialisés en 1960, la Chine (2e), le Japon (3e) et la Corée du Sud (10e) figurent actuellement parmi les 10 premières puissances économiques mondiales. Pour atteindre ce résultat, leurs États-stratèges ont dans un premier temps conduit une stratégie de promotion des exportations industrielles. Une stratégie qui s’est avérée payante puisque dès les années 1980, les pays développés ont encouragé la délocalisation pour soutenir le pouvoir d’achat de leur classe moyenne. Pour les pays asiatiques, cette stratégie de rattrapage repose sur la création par l’État d’un environnement favorable à des « champions nationaux » et sur une montée en gamme technologique. Finalement, les pays est-asiatiques se sont inspirés de notre modèle gaulliste de capitalisme d’État pour mieux rivaliser avec l’Occident. Ce modèle industriel avait permis au Général de Gaulle de doubler les exportations industrielles françaises entre 1962 et 1968, en articulant la vision du Commissariat au Plan et au sein de champions nationaux.

Face à leurs premières crises économiques dans les années 1990, les pays est-asiatiques réalisent que leur stratégie d’inondation du marché mondial les a rendus vulnérables aux oscillations de la croissance mondiale. En adhérant à l’OMC, ils abandonnent le dirigisme industriel, rationalisent le financement public, assainissent leur secteur bancaire et investissent massivement dans des infrastructures innovantes. Ainsi, ils parviennent à maintenir la part de l’industrie dans la création de valeur à un niveau significatif : en 2019, celle-ci est de 29 % au Japon, 33 % en Corée du Sud et 39 % en Chine, contre seulement 13 % en France.

Parce qu’elle a raté son entrée dans la mondialisation en 1980, la France subit, elle, un fort déclassement industriel. Depuis le tournant de la rigueur en 1983, la France oscille entre tentative d’adaptation à la mondialisation et politique sociale dispendieuse (record des pays de l’OCDE). La France a finalement abouti à un modèle mixte qui cumule les faiblesses des modèles libéral-financier et industriel-commercial sans bénéficier de leurs avantages respectifs (forte capacité d’adaptation et de création de richesse pour l’un, balance commerciale excédentaire et souveraineté nationale pour l’autre). Ces choix politiques minent notre compétitivité et ont participé à plonger le pays dans ce que Marcel Gauchet qualifie de « malheur français ».

Les pays est-asiatiques ont depuis gagné la course à l’innovation en puisant dans l’innovation et la recherche les nouveaux moteurs de leur croissance. Grâce à la modernisation de leur écosystème, les dépenses en R&D représentent désormais 3,2 % du PIB au Japon et 4,6 % en Corée du Sud, contre 2,5% en France. L’État y joue un rôle vital, celui d’insuffler une vision pour les secteurs d’avenir et permettre aux acteurs privés de soutenir les dépenses en recherche, par des participations croisées. Au Japon et en Corée du Sud, le secteur privé concentre ainsi plus de 70% des dépenses R&D. A l’inverse, la France se retrouve dans une position intermédiaire où son coût du travail ne lui permet pas d’être compétitif sur le bas de gamme et sa capacité d’innovation reste insuffisante pour concurrencer les pays les plus innovants sur le haut de gamme.

Gagner la course de l’innovation pour bâtir une nation d’industriels et de savants  

Il est donc impératif de transformer notre modèle pour faire face au monde d’après crise sanitaire et sortir de la spirale infernale du nivellement par le bas. Pour cela, nous devons bâtir une nation d’industriels et de savants capable d’inspirer le génie français, et non son malheur. Ce projet qui vise à concilier la mise à profit de la mondialisation et les attentes de la société française s’articule autour de trois axes : des réformes structurelles, la valorisation de nos acteurs économiques pour le volet industriel ainsi qu’un rattrapage technologique.

En effet, notre modèle a déjà montré ses failles puisque la hausse continue des dépenses publiques n’est pas parvenue à endiguer la montée de la pauvreté et la baisse de la qualité de nos services. Pour faire de la France le paradis du travail, il convient notamment de revoir le financement de notre modèle social qui pèse beaucoup trop sur le travail. Des réformes fiscales s’imposent également pour libérer les énergies et protéger nos acteurs économiques, en s’alignant sur les standards internationaux.

Afin d’entrer pleinement dans l’économie du XXIème siècle, nous devons enfin gagner la bataille des cerveaux. Nous ne pourrons insuffler une nouvelle vision industrielle sans un nouveau souffle d’innovation technique et scientifique. Pour inverser le décrochage des élèves français illustré par le classement PISA depuis le début des années 2000, notre système éducatif doit encourager davantage l’apprentissage des fondamentaux scientifiques. En parallèle, réarmer notre politique de R&D avec un objectif de dépenses en R&D à 3% du PIB à un horizon de 5 ans permettrait à nos acteurs de conquérir le monde grâce à l’innovation. Enfin, gagner la bataille des cerveaux implique de refaire de la France une place scientifique mondiale attractive pour les talents du monde entier en protégeant notre cadre de vie et en accordant des avantages fiscaux pour les scientifiques et les chercheurs.

Si la France n’a pas su tirer profit de la « mondialisation heureuse », elle a toujours été au rendez-vous de l’Histoire. Pour préparer le monde d’après-crise et être à la hauteur de son histoire, nous devons renouer avec l’esprit d’ingéniosité dont les Français ont fait preuve à travers le temps. En bâtissant une nation d’industriels et de savants nous serons ainsi capables de résister aux prochaines crises et d’enrayer le malheur français.

Marion Pariset, Secrétaire Générale du Millénaire
Matthieu Hocque, analyste du Millénaire
Emeric Guisset, SG-Adjoint du Millénaire

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Crédit photo : Piqsels

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