Entretien avec Gérard Colé

Gérard Colé est ancien conseiller du Président François Mitterrand, il prend en main sa communication  à l’approche de la présidentielle de 1981, après avoir repris celle du Parti socialiste à partir de 1975. Il recrute alors l’ensemble de ceux qui ont révolutionné la communication politique dans l’histoire de la cinquième république (Jacques Pilhan, Jacques Anfossi et Jean-Luc Aubert). Ils conceptualiseront ensemble ce que nous appelons plus communément aujourd’hui : l’écriture médiatique.

Pour reprendre une phrase de Patrick Poivre d’Arvor, ils ont inventé un métier !

À quelques heures du discours d’Emmanuel Macron pour le 14 juillet, nous avons souhaité interroger un monstre sacré de la communication politique qui a notamment comme fait d’armes, préparé l’allocation présidentielle de François Mitterrand du 14 juillet 1986 qui ont permis à ce dernier de prendre un avantage décisif dans la première cohabitation avec Jacques Chirac. 

Propos rapportés par William Thay et Alexis Findykian.

Bonjour Monsieur Colé, en tant que conseiller en communication, vous avez vu passer beaucoup de tempêtes à l’Elysée, quel est votre regard sur la gestion de cette crise du Covid-19 ?

« Je la juge satisfaisante, elle n’est pas géniale, il y avait des trous dans la raquette comme on dit. Mais je la trouve satisfaisante dans la mesure où dès de le départ, il fallait faire peur, c’est-à-dire faire prendre conscience de l’énormité du problème. Donc, dans un premier temps, j’approuve l’emploi de : « nous sommes en guerre ». Gouverner, c’est créer un choc, un choc qui créera la stupéfaction chez les citoyens, ce choc, c’est que le monde entier affronte un virus inconnu et contre lequel il va falloir se battre, car il tue. Si le Président avait pris la parole pour simplement dire qu’il y a un problème, il serait tombé dans les mêmes travers que François Hollande.

Sous l’angle de la communication, il est extrêmement difficile de juger une opération qui reste en cours. Mais l’on peut comparer la gestion française avec une autre gestion, prenons l’exemple de la gestion américaine. Durant cette crise sanitaire, Trump a incarné tout ce que l’on pouvait redouter de pire chez lui. Contrairement à Emmanuel Macron, il n’y a pas eu de différence entre l’avant et l’après de son discours.

Pour résumer, une communication plutôt satisfaisante, car on pouvait faire mieux comme on pouvait faire pire face à l’inconnu. De plus, on pourrait dire milles choses sur l’intervention d’Emmanuel Macron sur le confinement, mais il y a eu une ambiance française avant et après. »

Est-ce qu’aujourd’hui, comme l’avait dit François Mitterrand en son temps, nous pouvons parler de logique de drapeau ? La nation fait-elle bloc derrière le Président et le Premier Ministre selon vous ?

« Cela n’est pas possible, car il y avait de nombreux contentieux avant la crise et il y en a de nouveaux pendant, entretenant la défiance. Mais comme cette défiance est accaparée par les extrêmes, le Président se balade en gondole ou bien même sur une autoroute, en entretenant ce jeu.

Sur cette route il peut y avoir des accidents ou des embouteillages, mais enfin la confondante bêtise stratégique de ses opposants entretient cette libre circulation. Après nous avons un rapport particulier au père en France, faisant toujours planer la responsabilité sur le chef de l’état, et cela s’est accentué avec le quinquennat. » 

Ce qui pose la question du rôle et de la place des partis politiques aujourd’hui dans la société française, sont-ils selon vous toujours représentatifs ou non ?

« Dans l’ensemble, ils sont à peu près représentatifs, on y retrouve l’ensemble du panel classique, du résistant à l’opposant en passant par l’anarchiste, jusqu’à ceux qui ne connaissent que le jugement et la désignation de bouc émissaire comme méthode.

Mais cela pose avant tout la question de la conduite d’un parti, qu’est-ce que conduire un parti dans la cinquième république ? De Gaulle n’a jamais conduit le RPR, l’UDR ou que sais-je etc. Le problème est avant tout de l’ordre de l’identification au leader. »

Vous avez été révolutionnaire dans votre approche lorsque vous avez repris en mains la communication de François Mitterrand en 1980. Au-delà de la crise actuelle qui est exceptionnelle, nous sommes aussi confrontés à une situation politique particulière avec l’échec de 2 partis de gouvernement. Est-il possible selon vous que ces 2 partis redeviennent audibles, et si oui quels sont leurs défis à surmonter ?

« Le camembert qui compose la vie politique française actuelle est assez large, mais l’offre actuelle ne prend pas en compte la demande. Pour être audible, il faut avant tout être attractif et pour attirer, il faut susciter le désir. Pour les partis de gouvernement, j’observe une inadaptation à l’air de son temps, avec un certain habillage markéting à Droite, dont la Gauche s’est préservée. De plus, l’irruption du numérique dans l’évolution de la vie politique a jeté un voile ringardisant sur les réunions de sections d’un parti comme le Parti socialiste, pour prendre un exemple que je connais.

Quant à la droite française, pour parler de votre sensibilité, elle ne s’est plus affirmée depuis longtemps. Elle a un avenir à condition de tout repenser, en commençant par le fond, cela en va de même pour la gauche.

Pour revenir sur la méthode, elle est simple, la règle élémentaire dont nous avons fait structure a permis à Mitterrand de se balader les mains dans les poches pendant 7 ans. Jusqu’à ce je décide de mettre fin à notre collaboration. Cette règle c’est que la communication part des gens, remonte au gouvernant et elle redescend vers les gens, autrement c’est de la propagande ou du markéting politique et cela s’apparente plus à la vente d’un produit.

Cette communication va ensuite constituer la base de tout, l’analyse fine (avec une marge d’erreur) qui sortira des groupes dits qualitatifs, « focus group » chez nos amis anglo-saxons. Cette analyse va permettre d’établir un tableau de bord de l’opinion. On présente cela au chef de l’état qui va agir en fonction des critères du tableau de bord, avec 2 objectifs, entendre et convaincre, comme ce fut le cas si nous prenons l’exemple de la peine de mort. Ça c’est gouverner.

Toute la noblesse dans le métier de conseiller de Prince est là, être l’intercesseur entre l’opinion et un chef d’état (ce qui nécessite aussi de posséder une relative brutalité de langage). »

Dans les années 70, qui furent marquées précédemment par la révolution Gaulliste, pensez-vous que nous sommes dans une situation similaire depuis l’élection d’Emmanuel Macron ?

« Tout d’abord, même si la situation peut sembler être similaire pour les partis, ce n’est pas le cas au niveau des gouvernants. Charles de Gaulle était un prince absolu, un monument, c’est Jeanne D’Arc. Du point de vue de la communication, conseiller en communication de Charles De Gaulle, cela n’existe pas.

Vous parliez d’échantillons, aujourd’hui les sondages que l’on peut avoir dans les instituts sont-ils aussi fiables que les études de la COFREMCA que vous aviez à l’époque ?

« Les travaux de la COFREMCA furent le point de départ de tout, mais après nous sommes allés bien au-delà ! Les outils et les procédures existent, n’importe qui peut réaliser des focus groupes, le problème c’est le peu de cabinets de recrutement de panels. Et le travail le plus minutieux est du côté du recruteur et de l’animateur du panel, qui doivent fouiller et creuser encore et encore. Pour résumer, le boulot correspond à trouver des pépites dans un tas de gravats.

Sinon si vous pouvez en rester aux choses simples, comme par exemple poser la question suivante « qui pour incarner la droite prochainement ? ». Et vous laissez l’échantillon vous citer le haut du panel d’exposition des personnalités de la droite française. Mais tout l’art du métier est dans le détail, là est toute la différence entre l’exposition et l’incarnation.

Mais cela pose également la question du choix de l’échantillon, et c’est tout le problème d’aujourd’hui, les erreurs que l’on retrouve sont avant tout liées aux échantillons.

Les réseaux sociaux, en plus de montrer une remontée de haine et de frustration spectaculaires, sont considérés comme l’opinion aujourd’hui. L’erreur de beaucoup d’éditorialistes et de journalistes est, par manque de temps certainement, de considérer ce tuyau comme l’opinion spontanée, faisant passer du temps d’analyse sur un échantillon « de merde ».

Bien que les tuyaux aient changé et évolué, extraire la vérité politique de groupes sociaux aujourd’hui est à la portée de qui fait un travail de qualité. Le problème n’est pas les outils, qui sont de bien meilleure qualité, mais c’est l’utilisation de ces derniers. »

Aujourd’hui avec le quinquennat, un changement de PM est-il toujours important selon vous ?

« Tout part du Président, qui nous annonce dans le secret des dieux qu’il compte changer, à nous alors de déterminer le profil du prochain nominé. Vient alors le questionnement lors des focus groupes, les reproches à l’actuel Premier ministre, le souhait de changement, les attentes pour le potentiel suivant etc… Il n’y a qu’au terme du constat que nous revenons vers le PR avec une « ordonnance si j’ose dire », correspondant aux caractéristiques d’un profil. Alors le Président décide lui-même du nom correspondant au profil. 

Le changement est important, seulement dans la mesure où il correspond aux attentes précises de l’opinion, changer pour changer n’a aucun sens. Revenons en juillet 1984, nous avons été responsables du portrait-robot du Premier ministre qui amena François Mitterrand à choisir Laurent Fabius au détriment de Pierre Mauroy. Il en va de même pour le portrait-robot du Premier ministre lors de la première cohabitation et également celui du Premier ministre qui suivra la réélection du Président en 1988. Mitterrand a décidé, seul, des noms qui collaient à nos études de l’opinion. L’exception fut le cas d’Edith Cresson, où François Mitterrand a choisi de ne pas suivre la volonté de l’opinion, provoquant ma décision de mettre fin au contrat. »

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